Air France ou la négociation perdant-perdant


J'avoue que je n'étais pas autour de la table mais les protagonistes du conflit chez Air France donnent le sentiment de repartir dans leurs avions, leurs bureaux ou leurs aéroports qui avec un bras en moins, qui avec un oeil en moins, qui avec une jambe cassée, etc... Bienvenue à Air Eclopée SA...
Si un pilote ou un membre de la direction de la compagnie me lit et veut au contraire partager les bons moments que les uns ont passé avec les autres autour de la table, surtout qu'il/elle se manifeste, son témoignage vaudra de l'or. Je voudrais mettre le moins d'ironie possible dans mon propos tellement j'ai été consterné par la pièce de théâtre à laquelle j'ai assisté.
Je ne ferai aucun commentaire sur le contexte ni sur le fond du dossier. Juste sur la manière.

L'ambiguité de la concertation. 
Voilà un projet de réorganisation dit stratégique annoncé depuis des mois. Ce projet a été concocté par des esprits brillants qui ont trouvé "en chambre" la ou les solutions qui permettront à Air France de se dessiner un avenir glorieux. Ce projet est ensuite présenté au personnel. En fait, que présente-t-on au personnel : un truc "à prendre ou à laisser" ? un plan à discuter ? Je commence à en avoir par dessus la tête du terme de "concertation" dont je ne comprends toujours pas la finalité. Il serait préférable de parler de négociation. Et si les solutions présentées ne sont pas négociables (c'est possible), alors à quoi sert la concertation ? C'est un exercice de com' au pire sens du terme ? Par contre, s'il s'agit d'une négociation, ce n'est pas la solution qu'il faudrait mettre sur la table, c'est le problème à résoudre !

Dans cette affaire, c'est comme si personne ne s'était au départ posé la question : "Que peut-on faire pour aider les pilotes à trouver leur intérêt dans notre projet stratégique ?" Puisque le projet ne peut se mettre en place sans les pilotes, il n'est pas absurde de s'interroger sur l'intérêt que les pilotes peuvent y trouver. Mais voilà, quand les cervelles ont chauffé et que les consultants en stratégie ont été payés, c'est la question qui paraît absurde. Du coup, on va tomber dans l'absurde, c'est sûr.

Enfin, à supposer qu'il ait été préférable, "pour gagner du temps" ou pour respecter les processus légaux, de préparer un projet à négocier avec le personnel, pourquoi pas. La culture économique et sociale de ce pays n'est pas portée à l'échange entre management et salariés pour dégager des solutions communes et le code du travail n'aime pas la négociation. Je le déplore mais je le constate et quand je le déplore trop, je me fais traiter de bisounours (au mieux).

Un projet à prendre ou à laisser ?
Donc on présente un projet. Il est ficelé, bouclé, encore une fois "à prendre ou à laisser" ? Je n'ai lu dans aucun média que les dirigeants de la compagnie souhaitaient rencontrer leur personnel pour résoudre avec eux tel ou tel problème. J'ai peut être mal lu... Si le projet était "à prendre ou à laisser", je m'étonne moins que les choses aient si vite tourné court. Quand on rémunère quelqu'un au tarif d'un pilote de ligne, c'est qu'on ne le prend pas pour quelqu'un sans valeur ajoutée. Il y a donc des chances que le collectif de ces individus là aime se voir demander son avis. Malheureusement les processus de concertation font semblant de demander un avis. Du coup, si un avis s'exprime et si la réponse est "niet", il se fâche le cadre sup qu'on paie bien parce qu'on a vachement besoin de lui...
Bref, la direction de la compagnie a besoin de ses pilotes et ils vont le faire sentir de la pire façon qui soit. Ils vont en quelque sorte se payer "en négatif".
La fausse négociation déclenche donc une vraie grève que les pilotes voient comme la bonne méthode pour imposer une vraie négociation. Ils se trompent bien entendu.

Les mouches du coche
Comme les postures sont bien figées et les biceps bien montrés, le spectacle va être désormais assuré, à défaut des vols. S'ajoutent alors au schmilblick les spectateurs et les commentateurs qui jouent les mouches du coche. Certains spectateurs perdent leurs nerfs, d'autres s'évanouissent, d'autres encore voudraient monter sur scène et la confusion s'accroît. Un ministre à qui la foule demande des comptes pense qu'il est de son devoir de jouer les bons offices, peut être croît-il secrètement qu'il peut sauver l'affaire. Il va prendre une balle perdue. Qu'il revende ses 15%, vite vite !! Enfin, pas tropvite quand même désormais, il serait préférable maintenant que le cours des actions remontent...

Une négo sans les ingrédients
Comme personne n'a brillé dans l'histoire, chacun se demande qui a gagné ou qui a perdu. Du coup, après le simulacre de cette concertation dont le sens m'échappe, en lieu et place de la négociation que les pilotes disaient vouloir, les pilotes et la direction de la compagnie se sont retrouvés avec un bras de fer à gérer.

De mon point de vue extérieur, je n'ai vu en effet aucun des ingrédients qui composent une négociation réussie :

- quels étaient les intérêts des uns et des autres, derrière les positions affichées ? Du côté des dirigeants, chacun a expliqué combien la situation du marché exigeait la création de Transavia Europe au nom de l'intérêt supérieur de la compagnie, de ses passagers et de l'économie française ou européenne toute entière (ne mégotons pas). Or le projet est passé par dessus bord. Alors, intérêt majeur ou simple option révisable ? Je ne sais pas. Du côté des pilotes, au terme du conflit, chacun va dire que "tout ça pour ça..." Alors, quels étaient les intérêts des pilotes, les "lignes rouges" ? Je n'ai vu que des objectifs non atteints de leur côté.
- de quelles options les uns et les autres disposaient-ils pour nourrir leur dialogue ? De l'extérieur, je n'en ai pas vues. Il semblait n'y avoir place que pour des sujets qu'on "lâche" ou qu'on "tient". Ce n'était pas de la négociation, c'était du tir à la corde. Même pas drôle.
- la discussion s'est-elle déroulée dans un climat sain et efficace ? A part la discussion "les yeux dans les yeux" entre le PDG de la compagnie et le délégué général du syndicat principal un dimanche matin au café à l'abri des regards, il n'y en a pas eu bésef. D'ailleurs c'est intéressant cette histoire de rendez-vous matinal au café, à l'abri des regards. Comme par hasard la grève s'est arrêtée peu de temps après. Le seul moment d'échange authentique s'est fait à cet instant là, a priori. Les protagonistes tiennent là un ingrédient de succès futurs. Quand il s'agit de discuter sérieusement pour résoudre les problèmes, affronter les enjeux communs, il est préférable de ne convier ni les Ministres ni les chaînes de télé. Dommage qu'il soit arrivé si tard, ce moment là, et dans le but unique de "sauver la face" des uns comme des autres.
- cette négociation dans la douleur sert-elle la qualité des relations entre la direction de la compagnie et ses pilotes ? La réponse est dans ma question. Quand je négocie"dans la douleur"... j'ai moins envie de revoir mon partenaire dans le futur
- enfin, dernier point, quelles étaient les "MEilleures SOlutions de REchange" des uns et des autres ? Le modèle de la négociation raisonnée développé à partir des travaux menés à Harvard met en avant la nécessité de réfléchir, avant de mener une négociation, à cette "mesore", ce "plan B" qui se substitue à l'accord si aucun accord n'est possible. Qu'est-ce que la direction générale de la compagnie pouvait faire sans l'accord de ses pilotes qui lui permette de préserver ses intérêts ? Je ne sais pas, je n'ai pas vu. Du côté des pilotes, on l'a vu, la grève servait de "mesore"....
A voir les résultats (chiffrés) et à lire les commentaires post-crise, je me dis que cette grève fut surtout une "PIre SOlution de REchange" (pisore). Bref, je n'ai pas de réponse perceptible à ma question : quelle est la "mesore" d'un pilote d'Air France dans la tourmente actuelle quand sa direction met sur la table un projet de ce genre ?

Les ingrédients n'étant pas réunis, l'émergence d'un résultat "gagnant-gagnant" était peu probable.

Du coup, comme sans plan B on est planté, Air France s'est plantée, sa direction, ses pilotes, son actionnaire majoritaire aussi. C'est alors ce qu'on appellera une négociation perdant-perdant...

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