Fantômette et le trésor des coachs
Louis de Funès a eu plusieurs rôles marquants au cinéma, mes deux ou trois favoris étant celui du chef d'orchestre de "La Grande Vadrouille", de Don Salluste dans "La Folie des Grandeurs" et de Victor Pivert dans "Rabbi Jacob".
Il en a eu des moins convaincants, l'un des moins réussis étant celui du commissaire Juve dans "Fantômas", une série de films policiers parodiques qui sentent vaguement le navet à boucher les trous télévisuels.
Sa petite fille philosophe, Julia de Funès, a malheureusement dû trop regarder son grand père face à Fantômas alias Jean Marais et se plaît désormais à jouer les justicières dans l'entreprise. Bref c'est la renaissance de Fantômette, pour reprendre le nom d'une héroïne de bibliothèque rose dont j'ai emprunté un jour, quand je devais avoir 7 ou 8 ans, l'opus "Fantômette et le trésor du pharaon" à une copine de ma soeur qui, depuis, bien sûr, le recherche activement !
La controverse
Ce qui est puissant avec Julia de Funès c'est qu'elle cumule un nom sympathique, une aisance et une présence qui ont de l'impact et un talent certain pour balancer avec le sourire de grosses vacheries de derrière les fagots.
Son dernier truc c'est l'allumage des coachs. Elle a sorti un bouquin, titré "Le Développement (Im)Personnel" qui fait gronder dans sa barbe Gabriel Hannes, le président de l'EMCC (European Mentoring & Coaching Council), association professionnelle à laquelle je cotise. Ces grondements ont donc valu à Gabriel Hannes de se retrouver face à Julia de Funès dans l'émission de Raphaël Enthoven sur Arte. Une émission à la fois intéressante et mal fichue. J'avais déjà vu cette émission sur un autre sujet et j'y ai retrouvé les mêmes travers. Dommage.
Sur le fond, Julia de Funès traite les coachs, en gros, comme aurait dit Brassens, de "paresseux, lève-nez, cancres, crétins crasseux", bref d'imposteurs en tout genre. Ce qui la fait hurler, si j'ai bien compris, c'est le pognon invraisemblable que les particuliers et les entreprises engloutissent dans des ouvrages de développement personnel et de conseils à deux balles, lesquels ne valent pas mieux que l'horoscope du dernier hebdo féminin auquel Julia de Funès donnera une interview pour faire la promo de son bouquin.
Je me suis donc offert l'opuscule, 156 pages écrites avec aisance et qui se lisent facilement. Julia de Funès a du métier. Il y a du progrès dans la philosophie depuis Derrida et Deleuze, visiblement. De Funès n'est pas Lacan, c'est déjà ça. Cela fait des points communs entre Julia de Funès et ceux qu'elle dénonce. Vous remarquerez aussi la coquetterie dans les titres : après "la comédie (in)humaine", voici "le développement (im)personnel". So chic...
Si je rentre dans le dur, je vais suivre Julia de Funès sur un certain nombre de points et, sur d'autres, considérer qu'elle se moque du monde. Au final, je soupire car Julia de Funès me semble émarger, certes avec plus de glamour, à la même école de pensée que l'atroce Viviane Forrester, ou celle des pires poncifs d'Alternatives Economiques, ces écoles de pensée qui considèrent que les entreprises ne sont que des lieux d'asservissement.
Mes points d'accord
Au début de son livre, Julia de Funès allume à bout portant le diktat de la pensée positive, les bons sentiments permanents, la victimisation générale, qui euphémise et transforme, je cite, "les vilains cancres" en "géniaux hyperactifs précoces" ou encore, je cite toujours, "les petits" en "personnes verticalement contrariées".
Elle s'insurge bien sûr contre les kilomètres de rayonnage d'ouvrages de développement personnel qui étouffent les librairies.
Bon, là, je veux bien la suivre. Il y a parfois de bons bouquins là-dedans mais il faut trier ! Cela dit, pour moi, le succès de tout cela, c'est comme le yoga, le quinoa, le jogging obsessionnel ou la méditation : des modes comportementales qui passeront comme Véronique et Davina ont cessé de prendre des douches à poil ;-) Les lecteurs qui ont connu les années 80 triomphantes comprendront. Mais Julia de Funès est née en 1979 !
Bref faire la nique au politiquement correct et, par là même, à toute cette logorrhée qui veut interdire Autant en emporte le Vent ou a fait rebaptiser "Les Dix Petits Nègres", à supposer que Julia de Funès soit assez "effrontée" (c'est comme cela qu'elle qualifie son bouquin) pour me suivre, ça me va bien !
Elle fait donc un sort au "développement personnel", une notion dont elle dénonce l'étendue et la vacuité. Admettons. Elle flingue trois bouquins dont je n'avais jamais entendu parler, dont un bouquin de Jacques Attali. Soit.
La grande sauce
Le problème c'est que, j'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé dans son livre d'autres références rageuses qu'à d'autres bouquins que ces trois là. Bon, c'est peut être un peu court comme bibliographie quand même. A la Sorbonne, normalement, les profs sont plus exigeants.
Evidemment, là où je coince, c'est quand elle assimile les auteurs de ces coupables ouvrages à des coachs. Jacques Attali est un coach ? Première nouvelle. Le sait-il lui-même ?
Elle se livre ensuite à un balayage sociologique ultra-rapide sur la perte d'influence des institutions traditionnelles au profit de mouvements de type "En Marche" ou "Gilets Jaunes"... le raccourci est un peu saisissant à mon goût, mais s'il lui ouvre les portes des studios de Radio France, je comprends qu'elle le fasse.
Il y a une partie du bouquin où c'est la grande sauce : elle dénonce pêle-mêle l'individualisation montante, les start-ups, le télétravail, le rejet des grandes organisations, les "slasheurs", les réseaux sociaux, bref un vaste ensemble qu'elle qualifie de "narcissisme mondain". Gabriel Hannes a décidé de faire 8 vidéos pour dénoncer, point à point, ce qu'il considère comme de la grande confusion. Bon courage. En bon cancre, lève-nez et crétin crasseux et finalement fier de l'être, je me contente de dire que tout le pataquès de notre Fantômette de la philosophie n'est qu'un gloubi-boulga hâtif et pas très malin. Car il y a plein de sujets qui mériteraient mieux que ces raccourcis.
Enfin, la cible
Page 41, Julia de Funès passe aux choses sérieuses, sa dénonciation des coachs, "ces nouveaux tartuffes". Tartuffe, ce personnage de Molière qui prêche la morale alors qu'il n'est qu'un vilain profiteur. Bon, je veux bien comprendre l'exaspération de Julia de Funès face à l'inflation des coachs en tout et n'importe quoi, au succès insensé d'écoles de coachs qui prolifèrent (il y en a a priori une centaine en France) et du fait qu'au bout du compte, si vous dites "coach" en tapant un réverbère il y en a 10 qui tombent.
Il y a un côté risible dans cette ruée vers le coaching. Pour avoir fait passer des entretiens de sélection dans l'une de ces écoles, je vois bien qu'y déboulent des tas de braves gens orientés par Pôle Emploi dans cette direction sous prétexte qu'ils sont "gentils". Un exemple parmi d'autres des lacunes de Pôle Emploi, la version "senior" des filières "Psycho" embouteillées dans les facs je trouve.
Côté réalité des chiffres, nous dénombrons 30 000 coachs diplômés de ces écoles en France aujourd'hui. Le chiffre progresse. Dans un post sur un sujet analogue il y a bientôt 3 ans, j'écrivais qu'il y avait 20 000 coachs. Comme je puise aux mêmes sources effectivement, l'eau monte. C'est moins que les plombiers (60 000), ou que les coiffeurs (80 000). Restons entre artisans.
Julia de Funès dénonce l'amateurisme de certaines formations, leur absence de contrôle. C'est un vieux reproche qui n'est plus d'actualité cependant. Comme Julia de Funès le dit quand même dans une phrase page 41, il y a aussi "le meilleur" chez les coachs et "les meilleurs" se sont lancés dans un gros travail de professionnalisation du métier, pour éviter les gourous à la petite semaine et mettre quelques barrières à l'entrée. Et le RNCP veille. Ce Registre National des Certifications Professionnelles, c'est du bidon pour Julia de Funès ? Notre effrontée va-t-elle jusque là ? Et puis il y a des diplômes universitaires via Paris 2 ou Paris 8. Moins nombreux que des diplômes de philo, mais est-ce le bon mètre étalon ?
Julia de Funès assimile ensuite les gros vendeurs de bouquins du rayon "développement personnel" aux coachs. C'est très excessif. La plupart des coachs n'écrivent pas de bouquins. Et leurs succès de librairie à tomber à la renverse sont certainement moins stimulants pour les éditeurs que les (im)pertinences (im)primées de Julia de Funès. Je veux bien entendre que les coachs aient ubérisé les philosophes et que Julia de Funès en souffre, mais cette vision du monde me semble très très excessive !
Et puis je n'aime pas cette opposition des genres : j'adore les philosophes SAUF Michel Onfray c'est vrai, mais bon, Michel Onfray est-il encore un philosophe ? J'en parlerai peut être un autre jour, quand j'aurai fini d'escroquer mes clients, selon Julia de Funès bien sûr !
Le client dans tout ça
Car toute la rage de Julia de Funès ne change pas quelque chose : j'ai des clients et je ne les pipote pas. Je suis venu à faire ce métier, non par désespérance vis à vis de mon métier d'origine (thèse de Julia de Funès), mais parce qu'un jour, face à un client confronté à des enjeux vraiment difficiles, je me suis dit qu'il fallait que j'apprenne autre chose, que je sorte de mon registre habituel, que les conseils que je pouvais donner ne servaient à rien, que je devais travailler une autre attitude puis oser l'adopter. J'ai donc fait un travail, appris quelque chose de différent. J'avais quelques bagages qui me permettaient de faire la route.
Julia de Funès trouve ça nul ? Pour elle, une fois notre formation scellée pendant nos études, c'est fini, c'est plié, personne ne va plus loin ?
Je ne peux pas croire que Julia de Funès pense cela.
Alors, pourquoi ce bouquin ? Pour quelques euros de plus ? Pour se voir à la télé ? Mais, si c'est cela, qui est Tartuffe ? Qui est Narcisse ? Celui qui dit c'est celui qui est, comme d'hab ?
Julia de Funès veut mes clients ? Mais, pas de problème. J'en ai eu un, d'ailleurs, qui souhaitait échanger avec un.e philosophe, après le travail que nous avions fait ensemble. Rien d'incompatible ! J'ai même eu une philosophe comme cliente. Dingue !
Je ne me prends ni pour Socrate ni pour un directeur de conscience. Je rencontre des dirigeants, des managers, qui sont confrontés à des changements, auxquels ils aspirent ou qu'ils rejettent, à des décisions, souvent difficiles à prendre, et qui ont envie d'échanger, dans un endroit tranquille, avec quelqu'un qui ne les juge pas, les écoute et parfois les secoue, ne se prend ni pour un psy ni pour un expert, mais connaît l'entreprise et a une culture du management qui lui permet d'avoir le recul demandé.
Je parle de moi mais c'est vrai de très nombreux coachs que je rencontre. Pas tous ? Non, pas tous. Mais j'ai rencontré des gens pas très intéressants dans des tas d'autres corporations, y compris chez des profs de philo qui, du haut de leur sorbonicole diplôme, manquent de l'éthique et du respect qu'on pourrait attendre de leur part.
Le monde est compliqué, les personnes un peu perdues, les entreprises ont de grands défis à relever, ceux qui prennent des décisions prennent un risque à chaque décision. Un peu d'amabilité n'est pas inutile. Fantômette était sympa, avec ses copines Boulotte et Ficelle, elle avait surtout beaucoup d'humour. Julia de Funès en a-t-elle ? Son grand père nous a fait tellement rire.
PS : dans ma banque d'images, lorsque j'ai tapé coach, j'ai obtenu, pour illustrer cet article, soit des photos de coachs sportifs, soit de gens en réunion autour d'une personne devant un paper board, soit, ah ah ah, un bus. Finalement, c'est ce car de tourisme (coach en anglais) qui m'est apparu comme la meilleure illustration, par dérision.
Bravo Philippe, que de talent dans cette analyse étayée pas comme celle de cette philosophe. Je me demande si ce n'est pas lui faire trop de "publicité" à la longue. Je ne sait pas di elle lira ton billet qui pourrait nourrir sa réflexion bien courte. Encore bravo. Bises. Maryse
RépondreSupprimerMerci Maryse pour ce commentaire. Evidemment, ça lui fait de la pub. Alors certains vont acheter le livre, et je crains que ça ne lui rende pas tant service !
Supprimer