Un fils de guérillero à la tête de Sciences-Po
J'avoue que, lorsque j'ai poussé pour la première fois les lourdes portes du 27 de la rue Saint Guillaume, je n'ai pas forcément imaginé que cette vénérable institution confierait un jour sa direction à un fils de guérillero. Mais, indéniablement, cela aurait renforcé ma sympathie pour cette école, même si, franchement, à l'époque, j'étais probablement assez loin d'avoir un look de guérillero 😎 Disons que j'aime bien me la jouer décalé mais là je portais un loden vert...
L'histoire de son père, réfugié politique uruguayen, est en effet le point d'originalité de Luis Vassy, le nouveau directeur de Sciences-Po désigné ces jours-ci.
Le reste de son CV témoigne d'un parcours très classique : l'ENA, l'ENS, la diplomatie, tout cela est très bien accompli. Il est de la même promotion ENA qu'Emmanuel Macron, donc on reste entre gens de bonne compagnie.
Finalement, et sans rien connaître des deux autres candidats sinon ce que j'ai lu sur eux dans la presse, le portrait de Luis Vassy colle parfaitement à la définition du Sciences-Po réussi, à la fois de toute éternité et aussi selon les canons des innovations importantes apportées sous l'impulsion de Richard Descoings les 20 dernières années environ.
Sciences-Po, dont je ne fus pas l'élément le plus brillant, reste dans mes souvenirs un lieu où régnait, au moins dans ma section (car, à l'époque il y avait des sections), une ambiance à la fois intello et décontractée, avec des enseignants souvent "vus à la télé" qui restent pour moi des gens vraiment inspirants : les politologues Alfred Grosser, René Rémond, Alain Lancelot (même si celui-là m'a "saqué" 3 fois au Grand Oral de sortie, hé oui, 3 fois...), Jérôme Jaffré, Roland Cayrol, le philosophe Paul Valadier sj, et même les économistes Elie Cohen ou Alain Redslob dont la matière m'a souvent donné du fil à retordre ("et pourtant", m'avait lâché Alain Redslob en me remettant une fois de plus une copie douloureuse : "vous avez l'air intelligent" 😅.)
J'ai beaucoup aimé cette ambiance, le vestiaire à l'accueil, qui faisait désuet mais qui était carrément un très grand service et ces quelques fréquentations, plus ou moins proches, qui se sont fait depuis un nom dans le journalisme, l'analyse politique, la pub, etc...
Quant à Luis Vassy, je lui souhaite bien du courage. L'ambiance actuelle est un peu lourde et il va devoir mobiliser tout son talent.
Sciences Po a toujours été évidemment un lieu où les étudiants aiment parler politique et s'étriper à l'occasion. Lorsque je flânais autour de "La Péniche", il y en avait de tous les bords et souvent un peu d'exaltation dans les têtes. D'ailleurs, en 1968, Sciences-Po avait connu pas mal d'agitation et en était finalement plutôt fier.
Le problème d'aujourd'hui n'est donc pas, à mes yeux, une histoire d'étudiants qui s'agitent, seraient devenus antisémites et de simples excroissances de Mélenchon ou de Netanyahou. Le conflit à Gaza, avec la date du 7 octobre dont se profile ce que je n'ai pas envie de qualifier d'anniversaire, est tellement violent qu'il est assez évident qu'il ne favorise pas la sérénité des échanges. Les étudiants sont en quelque sorte prisonniers du cycle de la vengeance que les acteurs locaux se refusent à enrayer. De même, la symétrie entre l'agitation à Columbia et celle de Sciences-Po est un bon reflet de l'internationalisation réussie de l'école par Richard Descoings.
L'institution me semble davantage perturbée en profondeur par ce qui s'est passé autour d'Olivier Duhamel, et, par ricochet, de Frédéric Mion puis autour de Mathias Vicherat. Les révélations effroyables de Familia Grande, l'intimité déglinguée de tous ces dirigeants, sans oublier le décès de Richard Descoings lui-même, dans une ambiance qui nous éloignait pas mal du plan en deux parties car visiblement il y en avait davantage (!) jouent beaucoup plus il me semble un rôle sur le climat délétère et la dégradation d'image qui s'ensuit.
Si le diplomate Luis Vassy, tout fils de guérillero qu'il est, pouvait afficher un style de vie moins attractif pour les pages people, ce serait quand même un sacré progrès ! Bref, comme je suis bien d'accord pour dire que "le poisson pourrit par la tête", alors j'espère que la pêche du jour a été bonne !
Après, que les étudiants éructent des âneries qui montrent bien que Sciences-Po ne vaccine pas contre la bêtise crasse ou le militantisme borné, oui, c'est préférable de ne pas franchement pas trop s'en étonner.
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