On va réapprendre l'alphabet

Alors que nous arrosons nos murs Facebook de photos de vacances, de ciels bleus, de mojitos et de randonnées épiques, Google a décidé de nous réapprendre l'alphabet.

Les vacances, c'est relatif
Voilà qui nous rappelle combien les vacances sont un concept extrêmement relatif. Et si l'alphabet de Google ne nous suffisait pas, nous aurions aussi les migrants pour nous le rappeler. Je me souviens des boat people, voici désormais les migrants. Les causes du phénomène sont du même ordre, le problème cette fois est qu'ils viennent de plus près, donc arrivent plus vite, ce qui rend le problème plus aigu voire plus insoluble, d'autant plus qu'ils débarquent en Grèce, pays de cocagne assez relatif a priori.
En plus ils se trompent de destination. Comme le dit sarcastiquement l'excellent romancier indien Aravind Adiga dans son non moins excellent "Tigre Blanc" dont je recommande chaudement la lecture à tous : "(..) l'avenir du monde est entre les mains de l'homme jaune et de l'homme brun à présent que notre maître d'antan, l'homme blanc, s'est perdu lui-même dans la sodomie, l'usage du portable et l'abus de drogue (...)". J'insiste sur l'épithète "sarcastique" pour accompagner cette citation :-)

L'Inde justement
Le nouveau boss de Google, désormais lettre "G" de l'alphabet revu par le trio Brin-Page-Schmidt, est d'ailleurs d'origine indienne. Idem chez Microsoft. Idem sûrement ailleurs et de plus en plus (30% dans la Silicon Valley selon un article du Monde de l'été dernier). Les nouvelles élites du monde ne semblent plus vraiment pousser entre les murs du cinquième arrondissement et à Manhattan, la concurrence est rude (au moins existe-t-elle). Et pourquoi pas. Mais il va falloir s'habituer. Nos élites ventrues ne vont pas pouvoir encore longtemps s'imaginer donner des leçons de grammaire des affaires aux natifs de Delhi, de Bombay ou de Bangalore.

L'Alphabet de Google révulse paraît-il BMW, dont les avocats et les porte-parole expliquent doctement que cette marque (Alphabet) appartient au constructeur allemand et qu'ils vont faire valoir "le droit des marques". Voilà des honoraires bien gagnés.

Qu'ils fassent comme ils veulent. Je me demande de mon côté où sont passés les ingénieurs allemands lorsqu'il s'agit de gamberger sur la voiture sans conducteur, où sont les ingénieurs d'optique allemands quand il s'agit de réfléchir aux lunettes du futur, où sont les éditeurs allemands quand il s'agit de mettre au point les téléphones, les livres ou les journaux du futur. Et quand je me moque des allemands, je peux me moquer tout aussi bien des Français, des Italiens, des Espagnols, des Finlandais ou des Belges. Encore les Irlandais et les Luxembourgeois ont-ils au moins compris ce qu'optimisation fiscale veut dire. Mais les autres, même pas. Ils glandouillent en faisant valoir le droit des marques, en plastronnant à coup de "Das Auto" ou de "Deutsche Qualität" sur les écrans de télé. Ils distribuent de gras émoluments à leurs gras dirigeants. Pendant ce temps là Google travaille et je n'ai même pas l'impression que les tours de taille de Sergueï Brin, Larry Page ou Eric Schmidt se soient spectaculairement dégradés ces dernières années.

Il y a quelques années, un ex-secrétaire d'Etat au Commerce dont le grand oeuvre m'échappe, qui sévissait à Radio-France et à la tête de la BnF, avait commis un ouvrage, "Quand Google défie l'Europe", dont les motivations m'ont toujours semblé obscures. Pour ma part, je trouve le défi assez sain et j'aimerai bien le voir relever. J'ai eu à l'époque davantage l'impression que son bouquin servait à stigmatiser une mondialisation et des technologies contre lesquels ce brave rond de cuir d'héritage entendait s'élever au nom d'une conception de la culture, qui fait certes honneur à nos bons maîtres, mais qui relève du combat d'arrière garde. Car la culture, c'est vivant !
Ce brave homme voulait que les Etats financent une bibliothèque européenne numérique. Il existe aujourd'hui un truc qui s'appelle Europeana. J'ai cliqué et je me suis consterné.

Heureusement que les californiens ne l'ont pas attendu. Du coup il y a un truc qui existe et qui marche.

Grâce aux cow-boys incultes nous pouvons en effet même lire "Voyelles" de Rimbaud en ligne.

Qui sait, comme il y aura des voyelles dans leur Alphabet, à quelles correspondances les maîtres de Mountain View vont-ils jouer ?

Et pendant ce temps là, au pays de Oui-Oui
Il y a quelque chose de désespérant à voir qu'autant d'idées continuent de fleurir à l'Ouest du Mississippi pendant que dans notre douce contrée des organisations syndicales se préparent à guerroyer contre la mise en application des dispositions de la loi Macron sur le travail dominical et que nous nous demandons en ce jour de conseil des ministres qui va remplacer notre Ministre du Travail ! Lequel a démissionné pendant les vacances... Même pas une blague. J'ai une suggestion : ne le remplacez pas !

Bref, c'est bientôt la rentrée, il est temps pour Oui-Oui et ses amis de réapprendre l'alphabet.


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