Sweet Heetch and nice Steve pour une vie "libérée"
Heetch à la barre
Cette semaine a eu lieu le procès de Heetch, accusé d'exercice illégal d'activité de taxi. J'espère que le juge se montrera à la hauteur du sujet. Résultat en mars. Les réquisitions sont lourdes puisque les fondateurs de cette plateforme sont menacés de 300 000€ d'amende et de deux années d'interdiction totale de diriger une entreprise.
Car il arrive que les juges ne soient pas vraiment à la hauteur du sujet. Pour avoir suivi il y a quelques années les procès intentés à Google par les éditeurs de la presse belge francophone, j'étais ressorti, si besoin était, avec la conviction que la justice n'avait rien de cette entité sage et objective que certains aimeraient nous vendre, mais que les juges, comme tout le monde et paix à leur âme, étaient sensibles à des idées voire à des idéologies et pouvaient donc prendre des décisions idiotes. A l'époque, au nom d'une jurisprudence des années 80, pré-Internet, Google avait été condamné... Au bout du compte les éditeurs belges demandeurs ne s'en étaient pas vraiment bien portés. Rattrapés par la réalité si longtemps déniée, ils étaient revenus assez vite à la table des négociations.
En attendant les résultats de ce procès et en espérant que le juge va comprendre que l'économie numérique et l'économie du partage feront davantage pour notre avenir que la préservation des taxis, on peut toujours écouter Creedence Clearwater Revival chanter les Hitch-Hikers en français les auto-stoppeurs, ancêtres analogiques des utilisateurs actuels de Bablacar, Uber et donc Heetch.
Récit rapide d'un jeu de courte durée dans le Triangle
Les taxis n'inspirent pas toujours une grande sympathie et ne donnent pas très envie de les soutenir. L'une de mes dernières expériences avec un des leurs a été calamiteuse. Cherchant à revenir en centre ville depuis la banlieue de Lyon, j'avais indiqué ma destination (une des 2 gares de Lyon) à la réceptionniste de mon hôtel. Celle-ci a préféré la modifier en passant la commande. "Si je donne votre véritable destination, personne ne viendra" m'explique-t-elle. Et la réceptionniste de l'hôtel d'ajouter : "surtout faites moi porter le chapeau, ça leur fera les pieds". Ce qui devait arriver arriva. Une fois mis devant le fait accompli, le chauffeur a manifesté son exaspération. Comme je sais que la stratégie du fait accompli est déloyale, je voulais bien comprendre que cela lui faisait mal aux arpions. Mais comme je suis un peu joueur, j'ai lâché, au dernier moment et après avoir payé en liquide (avec un pourboire !) : "vous faites pas la pub des taxis, vous"... Inutile de vous dire que j'ai récolté mon content d'énervement.
Bref, on s'amuse on s'amuse... C'est un chouette exemple de jeu psychologique dans le Triangle de Karpman, cette histoire. Avec le chauffeur de taxi, la réceptionniste et moi dans les rôles successifs de Persécuteur, Victime et Sauveur.
Ma réceptionniste d'hôtel avait bien démarré le jeu avec un magnifique rôle quasi-simultané de Victime (de la compagnie de taxis qui ne viendra pas, jolie Lecture de Pensée au passage), de Persécuteur (vis à vis de la compagnie de taxis à laquelle il s'agit de faire les pieds) et de Sauveur (vis à vis de moi, qui n'avait rien demandé, tel l'agneau admirable que je suis).
Dans le Triangle de Karpman, il y a des coups de théâtre et des rebondissements, et on le voit dans cette petite histoire. De mon entrée à ma sortie du taxi, le chauffeur et moi allons alterner avec brio les rôles de Persécuteur et de Victime, avec un sens du rebondissement remarquable.
J'avais le choix : j'aurais pu trouver les mots pour transformer notre triangle "dramatique" en triangle "compassionnel" puisque j'avais le fin mot de l'histoire. J'aurais pu lui dire : "vous savez la réceptionniste de l'hôtel a cru bon de tricher sur ma destination car elle était persuadée que, sinon, vous ne viendriez pas". Aurait-il protesté, nié ses mauvaises intentions ? C'est probable, il faut beaucoup d'agressivité pour dire à un client qu'une course à 20€ ne vaut pas le coup. Du coup nous nous serions épargnés nos jeux. Mais je n'en ai pas eu envie. Je préférai "lui faire les pieds". Lui non plus d'ailleurs n'en a pas eu envie, il aurait très bien pu accepter la situation, au lieu de jouer un jeu qui montrait, a contrario, que les soupçons de la réceptionniste n'étaient pas infondés.
A Game Free Life
Combien de fois jouons nous tous les jours à des jeux de cette sorte, à la maison ou au travail ? Au lieu de nous dire les choses, de traiter les sujets à fond et d'en tirer les enseignements. Comme le dit Steve Karpman, le psy qui a développé ce modèle d'analyse de ce jeu psychologique récurrent, il est préférable, face à telle ou telle situation, de l'évoquer (Bring it up), de s'en emparer (Take it up) et d'en faire le tour pour en sortir (Wrap it Up).
Dans mes séminaires de négociation, je débats avec les participants sur la nécessité d'être "dur avec les problèmes posés" et "doux avec les personnes concernées" dans une négociation. L'approche dite "win/win" développée par Roger Fisher et William Ury s'inscrit dans la même philosophie que celle du Triangle compassionnel du camarade Steve Karpman.
Si on élargit le champ d'observation, et pour en revenir à Heetch, je ne suis pas certain que les prétoires, 300K€ d'amende et deux ans d'interdiction d'entreprendre, soient ni les lieux ni les méthodes appropriées pour traiter sérieusement de l'impact de la numérisation sur telle ou telle profession. J'ai déjà évoqué ce sujet épidermique dans ce blog.
Vouloir aborder les problèmes, s'en emparer pleinement et savoir être créatif à plusieurs pour en tirer les enseignements et ne pas retomber dans les mêmes ornières, c'est un sacré sujet pour chacun d'entre nous. Dans une campagne électorale par exemple, cela signifie savoir mettre les egos de chacun au vestiaire, ce qui n'est pas simple quand les projecteurs s'allument et que les courtisans se pointent. C'est parfois tellement plus gratifiant de faire du théâtre !
Et si on faisait lire "A Game Free Life" à nos futurs candidats ? Vivement la traduction française.
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