Un quatuor pour une présidentielle


Il y a quelques années, je découvrais dans les pages économiques d'un magazine le récit édifiant d'une négociation pas très bien engagée entre deux entreprises très puissantes et notoires.

L'article était riche de détails embarrassants pour le président de la société conquérante. Ce président avait été, dans mon adolescence, un condisciple de collège et de lycée.

Les gens qui dérangent : histoires vécues

Dans l'opération conquérante qu'il menait à l'époque, il était évident que ledit président dérangeait. C'était assez normal, finalement, chacun pouvait comprendre que les positions établies de longue date dans l'entreprise "cible", étaient dérangées. Bref la cible grognait, c'était humain.

La cible était blessée, mais elle avait de la ressource. Elle disposait de réseaux très conséquents et la lecture de l'article le démontrait largement.

Cette situation m'en rappelait une autre. J'avais eu un client, quelques années plus tôt, une belle entreprise très innovante et très conquérante, partie à l'assaut d'un secteur très conservateur, pour ne pas dire prisonnier de ses routines. J'avais adoré ce client car j'adore envoyer des coups de pied dans les fourmilières remplies de gens qui se croient importants. Bref, j'assouvissais mes mauvais penchants, je prenais mon pied, d'une certaine façon on faisait la révolution, j'adore ce niveau d'énergie.

La stratégie que je mettais en place fonctionnait plutôt bien, la voix de mon client arrivait à se faire entendre, sans être systématiquement parasitée par ceux qui ne savaient qu'en dire pis que pendre.

Cette histoire me démontrait que, pour attaquer un système puissant doté de nombreux relais et pouvoir le mettre en difficulté, il était très important d'avoir une stratégie, de bien connaître la musique ET de ne pas être du sérail. 

Si vous êtes du sérail, vous êtes trop proche de la cible et vous serez tôt ou tard freiné dans vos actions et empêché d'agir. 

Dans mon affaire, le système concerné ne savait pas d'où je venais, il se demandait d'où je sortais, il sous-estimait et en même temps il ne savait pas trop comment contre-attaquer. Je me sentais comme une guêpe, même s'il me touchait, je lui faisais mal et s'il était allergique...Quant aux observateurs, finalement ils étaient de plus en plus intéressés par mon client car les choses étaient moins évidentes qu'ils ne le croyaient, ils commençaient à ne pas se contenter des "éléments de langage" de la cible. Progressivement les murs du système allaient s'effriter.

Dans l'affaire qui touchait mon ex-camarade de collège, l'article que je lisais me démontrait à l'évidence qu'il était très mal défendu, que sa communication était assurée par quelqu'un trop proche du système cible, et dont la loyauté à son égard pouvait être "aléatoire".

Je me décidais à lui envoyer un mot, pour échanger sur cela avec lui. Je n'étais pas sûr qu'il me réponde. 

Il m'a répondu parce qu'il était poli. Il m'a expliqué qu'il continuait à croire qu'il avait tous les soutiens nécessaires. J'en étais désolé pour moi et surtout pour lui, parce que j'étais certain qu'il allait perdre. Cela ne mettra pas très longtemps.

Macron et Zemmour : des amateurs ou des gens qui dérangent ?

Je repensais à ces deux histoires en lisant et écoutant les commentaires sur les prétendus amateurs en communication que seraient, chacun dans son genre, Emmanuel Macron et Eric Zemmour. Quand j'entends les journalistes prodiguer des conseils en communication, je me demande toujours s'ils envoient leurs CV en même temps...

Ma perception est différente. L'un comme l'autre sont des conquérants décidés à prendre le système à revers. Tous les deux connaissent parfaitement le système qu'ils ont décidé de chahuter, et le système les regarde avec un peu d'étonnement, un peu de suffisance, et va répétant qu'ils ne sont pas au niveau. En fait ils connaissent la musique sans être vraiment du sérail. Cette vision des choses peut être contestée, mais vous aurez du mal à me faire changer d'avis.

Pour ce qui concerne Emmanuel Macron, on a vu le résultat. François Hollande s'est fait coincer, Manuel Valls s'est fait envoyer voir ailleurs s'il y était (et il n'y était pas non plus 😂etc...). Tous ceux-là lui en veulent à mort. 

Il suffit de lire le dernier brûlot de Davet & Lhomme, intitulé "Le Traître et le Néant" pour mesurer la profondeur de l'acrimonie à gauche comme à droite !! 

Pour 2022, le sujet est Eric Zemmour. De mon point de vue non sympathisant de la cause, il est tout sauf un amateur, sauf quand il fait un doigt d'honneur, une grosse bêtise. 

Son clip par exemple : la mise en en scène façon "Ici Londres" me fait ricaner, je trouve le discours invraisemblablement passéiste. Je peux comprendre la nostalgie, mais là... je soupire. 

En même temps, il y a un imaginaire dans ce clip et je trouve cet imaginaire assez puissant. Ce n'est pas rationnel mais c'est émotionnellement fort et l'époque est très émotionnelle. Je vous renvoie aussi à cette très intéressante étude publiée dans The Conversation et qui souligne la potentielle efficacité du discours de ce candidat, et ses différences par rapport à Jean-Marie et Marine Le Pen, ou encore François Fillon. 

Quant à l'histoire des copyrights bafoués, je fais vaguement la moue. En fait, je comprends que l'équipe du candidat se soit dit "on s'en fiche". De toutes façons, la vie du clip ne sera pas très longue. Le message est passé.

D'ailleurs en quoi les chaînes de TV continues étaient-elles obligées d'interrompre leur programme pour nous balancer ce clip comme s'il s'agissait d'une intervention en  direct d'un président en guerre contre un virus ?? Eric Zemmour les a donc prises à leur propre piège. Ce que souligne ce commentateur d'Europe 1. Alors, franchement c'est bien fait pour elles.

Au sujet de l'interview sur TF1, je ne suis pas étonné de l'attitude d'Eric Zemmour. J'ai trouvé aussi que Gilles Bouleau avait fait le malin. J'ai entendu Alain Duhamel dire la même chose que ce que je pense. Que Gilles Bouleau se fasse traiter de c...ard n'est pas indispensable mais bon, ce n'est probablement pas la première fois. Après tout, Mélenchon n'a jamais beaucoup brillé pour son respect des journalistes non plus. Ce n'est pas une excuse mais personne n'a encore pensé lui dire qu'il était d'extrême droite. 

Donald Trump a réussi précisément en recourant à ce genre de comportement face à des médias américains incapables de faire autre chose que de nourrir la bête. Eric Zemmour adopte une stratégie proche de celle de Trump. Casser les codes, adopter une attitude "mal élevée" et cash, c'est ce qui est attendu par ceux qui le soutiennent. Lire cet excellent article à ce sujet.

Attention aux jeux

Entendre le commentateur sur Europe 1 expliquer que, quand même, ce n'est pas compliqué de ne pas répondre aux questions des médias pour dire ce que l'on veut, et utiliser Georges Marchais comme référence (bon, il y avait un poil d'ironie dans le propos quand même) cela m'a paru complètement dingue. 

Bien sûr, nous connaissons tous cela. Nous avons tous vu des journalistes poser des questions à des interviewés qui n'y répondent pas. Ce n'est pas vrai des seuls hommes politiques. C'est vrai aussi qu'une interview n'est pas une conversation. L'important pour l'interviewé.e est de savoir passer son message quelles que soient les questions. 

C'est probablement une des raisons pour lesquelles la confiance des Français en leurs "élites" est si faible. Car ces jeux sont inadaptés à la demande de sincérité et d'authenticité. Or il me semble, malgré les fake news, que la demande de sincérité est majeure.

Le clivage qui fait mal

Arrive ensuite le meeting dont les images nous sont parvenues hier. Sur la forme, il a assuré. Sur le fond, nous retrouvons le clivage qui fait mal : la mondialisation d'un côté, le nationalisme de l'autre. Zemmour chante mieux que Le Pen aux oreilles de pas mal de monde. Ce ne sont pas les électeurs d'Eric Ciotti qui diront le contraire. 

Je remarque au passage que Zemmour use, avec sa dénonciation du "néant" d'Emmanuel Macron de la même rhétorique que Davet & Lhomme vis à vis du Président. 

Pour sortir de ce clivage, il faudrait évoquer la gauche. Or elle est incapable d'exploiter sa légitimité sur l'écologie, elle est incapable de faire des choix et d'arrêter de vouloir courir dix lièvres à la fois. Ils sont au minimum quatre à se mettre en avant. A mon sens, il y en a trois de trop. Comme, de ce côté-là des estrades, je n'entends encore que Mélenchon, alors pourquoi pas Mélenchon seulement ? Il faut reconnaître le talent quand il y en a un, qu'on l'aime ou pas. 

J'entends que certains imaginent Taubira en "sauveuse". La championne du politiquement correct pour s'opposer à Zemmour ? Si cette rumeur est exacte, il serait temps que les militants de gauche comprennent que leur objectif devrait être de gouverner un pays, pas de se disputer avec un candidat.

Macron, Zemmour et Mélenchon connaissent la musique et ne sont toujours pas reconnus par le sérail.

Car oui, Emmanuel Macron reste assez bizarrement "hors système". Nombreux sont les notables qui ne lui ont pas pardonné le grand chamboule tout d'il y a 5 ans. Il suffisait d'écouter André Laignel plastronner et donner des leçons de démocratie à Macron au dernier congrès des Maires de France. André Laignel, ce député PS qui déclarait après l'élection de Mitterrand, aux députés de droite : "vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires", un grand démocrate quoi. 

Veste rouge, mais clown blanc

A propos des notables, LR a fini par choisir Valérie Pécresse. Fille d'un économiste universitaire bien au fait des enjeux des télécommunications et du numérique, ancienne conseillère de l'Elysée (elle s'occupait, ô hasard, des nouvelles technologies), ancienne Ministre des Universités (tiens donc), présidente de région, la veste est rouge mais le réseau, dont celui de papa, et le parcours, sont très institutionnels. 

Au moins nous a-t-elle provisoirement débarrassé de Xavier Bertrand, celui qui, comme comme ex-camarade de collège, n'a pas compris ou eu le courage de prendre le système à rebrousse-poil.

Je la trouve plus "clown blanc" qu'Auguste en fait, dans ce grand cirque électoral, mais un premier sondage la place à 17%, soit 7 points de plus qu'avant sa victoire à la primaire LR. A égalité avec MLP. Un autre lui accorde même 20% et une victoire au second tour. Au-delà du coup de pub réussi de l'institut de sondage, ces chiffres prouvent juste encore une fois une chose : une élection se gagne au centre, dans le rassemblement. Les invectives sont bonnes pour le buzz, hélas. Elles ne sont pas bonnes pour le résultat, ouf.

C'est donc un bon départ pour cette candidate, d'ailleurs les médias s'excitent : est-ce que Macron est en danger ? Chouette, chouette, un rebondissement dans la série !


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