Crise de la communication sur la crise climatique
La première comédie collapsologue : Don't look up, déni cosmique
Netflix vient de nous offrir à Noël la première comédie collapsologue avec son "Don't look up, déni cosmique". Décidément on n'arrête pas le progrès, pour les thuriféraires de la décroissance, c'est le pompon. Cela vaut d'ailleurs à Jean-Marc Jancovici de quasiment s'emberlificoter les pinceaux pour recommander à ses innombrables followers de regarder ce film, tout en regrettant que ce soit sur Netflix et en s'excusant de l'avoir regardé tout en avouant qu'il a vu le film sans être abonné à Netflix. Faut pas chercher à comprendre. Les moines-soldats en croisade, la climatique comme les autres, ont toujours un problème avec la sainteté.
Enfin tout cela n'est pas bien grave. Le film n'est pas mal du tout même si la mise en scène de la bêtise la plus crasse ne m'a pas fait rire, en fait. Personnellement, j'ai aimé que le film aille jusqu'au bout de sa démonstration. Et je rêve du jour où une bestiole croquera tout cru le gros Donald, comme cela arrive à cette brave Meryl Streep dans le film, qui a endossé un rôle de clone féminin du Donald, peut-être pour nous dire que les femmes savent être aussi stupides que les bonshommes, bref que les éventuelles Présidentes ne valent pas mieux que les Présidents, un message peu porteur pour Christiane Taubira, qui ne se porte pas très bien d'ailleurs (2,5% dans un sondage, j'ai l'impression que c'est moins qu'Hidalgo).
Si le monde est peuplé d'autant d'abrutis que ce que dénonce le film, autant collapser donc.
Malgré mes moments d'exaspération, comme lorsque je lis des interviews de Didier Raoult, qui a encore le toupet de répandre sa bave, je garde cependant mon optimisme naïf de chef scout pas guéri, et je crois que nous n'avons pas besoin de sauveurs pour résoudre les problèmes qui se posent à notre époque et se poseront demain. Raison pour laquelle j'aime bien les initiatives prises par Le Shift Project de l'ineffable Jancovici ou encore par la Conférence des Entreprises pour le Climat ou enfin par la Fresque du Climat. Car ces trois exemples sont susceptibles de nous mettre en action, au lieu de privilégier les lamentations sur le thème "on va tous mourir" ou les indignations assez sélectives des militants "pastèques" (rouges dedans, verts dehors).
La crise de la communication plus profonde que la communication de crise
Car nous ne pouvons que constater la difficulté de communiquer efficacement sur ce sujet et le film est très remarquable sur cet aspect du problème.
En fait le film est un condensé de la difficulté pour n'importe qui, à commencer par les décideurs de toutes sortes (économiques, politiques, associatifs), à transmettre un message intelligible et audible au plus grand nombre.
Le film offre une belle démonstration du fait que communiquer un message complexe... c'est compliqué. La crise de la communication est un plus grand enjeu que la communication de crise ;-)
Un message se prépare. Un message, ce ne sont pas que des mots. Dans le film, la première séquence à la Maison Blanche est remarquable sur ce point. Les personnages joués par Leonardo di Caprio et Jennifer Lawrence passent pour des ploucs. Il a un costume moche, elle a un anneau dans le nez, ils ne partent pas gagnants. D'ailleurs on leur fait payer les cacahuètes. Enorme.
J'animai l'autre jour un atelier sur "les codes pro" auprès de lycéens de 1ère STMG dans un lycée du nord de Paris pour le compte de la très remarquable association Article 1. Pour illustrer le fait que chacun de nous se fait une idée de l’autre sans avoir nécessairement eu le temps de communiquer verbalement avec la personne, nous demandons aux élèves de deviner notre métier rien qu'en nous regardant.
J'avais déjà eu droit à pilote ou banquier, cette fois j'ai eu droit à avocat ou psychologue. Quant à la jeune femme Bac + 9 avec qui j'animai l'atelier, les élèves ont décrété qu'elle pouvait être secrétaire médicale, assistante sociale, voire ma secrétaire (!!). Plus genré qu'un élève de 1ère STMG, y'a pas 😂😂
Je me suis fait jeter jadis par un client dans la finance parce que j'étais venu à une réunion sans veste ni cravate. C'était il y a longtemps certes, mais depuis "mon ennemi c'est la finance" ;-) Je comprends mes rebelles de STMG, en même temps donc !
La revanche des communicants ?
Les journalistes n'arrêtent pas de dauber sur les communicants. Le film offre une petite revanche : les médias et les journalistes sont montrés dans toute leur fatuité. Plus sérieusement et toute caricature mise à part, impossible de se confronter à un média et à plus forte raison à une émission de télévision sans une préparation approfondie, avec des interlocuteurs sans complaisance avec vous.
Je me souviens d'un client tout excité à l'idée de recevoir une équipe du JT de TF1 dans ses locaux. Il s'était vu star adulé... Heureusement nous avons bien préparé et je me suis gentiment employé à le dessaouler comme il convenait. Quand l'équipe de journalistes est arrivée, les questions imaginées lors de la préparation, et parfois les pires, étaient bien posées par les journalistes. Comme mon client avait reçu le seau d'eau froide dans la figure en préparation, il ne tiquait plus trop. Il me jetait régulièrement quelques coups d'oeil triomphants : t'as vu, ma réponse marche ! Je t'aime mon client.
Les messages scientifiques s'appuient sur des nuances, des hypothèses. Or nous sommes peu réceptifs à cela et le système des plateaux télé, comme le nombrilisme de certains animateurs, ne favorisent pas cette nuance. Comme l'explique très bien Didier Pourquery dans ce livre dont j'ai déjà parlé : sur un plateau, une "punch line" ou un clash, c'est l'assurance d'une reprise dans le fil d'info de la chaîne, puis sur les réseaux sociaux, puis par les autres médias puisque, comme me l'expliquaient mes bons maîtres : la presse lit la presse. Toutes ces reprises favorisent l'audience, donc la monétisation de ce contenu, certes pas très ragoûtant, mais c'est comme de la junk food, vite avalé vite oublié.
La crise climatique ne fait pas recette dans la campagne
Le succès de ce film ne profite pas à Yannick Jadot. La gauche préfère se lancer dans des débats byzantins sur une primaire dite populaire (dont douze militants font la grève de la faim !). Taubira glose, Hidalgo rame en accusant les autres, Jadot et Mélenchon essaient de faire leur boulot, succès relatifs car ils parlent encore trop des autres et pas assez d'eux-mêmes.
Passer du temps à critiquer les autres, donc à parler de ses rivaux, ce n'est pas une stratégie. Si Zemmour a percé c'est notamment parce qu'il a martelé son sujet. Il plafonne parce que c'est très insuffisant, c'est tout. Si Le Pen résiste c'est parce qu'elle conserve, comme disent les analystes, ses "fondamentaux". Si Macron l'a emporté en 2017, c'est parce qu'il a joué sa carte sans passer son temps à dire que machin était trop ci ou machine pas assez ça. De toutes façons, au bout de l'histoire, il faut bosser avec tout le monde (même les non vaccinés s'il en reste ;-))
J'aimerai bien savoir quel est le sujet de Jadot. Quelles sont ses "110 propositions" (pour reprendre une expression de Mitterrand) ? Il a même le droit d'en faire moins. Il a vu le film ? Il a lu la BD de Jancovici ?
PS
Si vous voulez vous désespérer de l'humanité, vous pouvez aussi lire "Pour rien au monde" ("Never" en VO), de Ken Follett. Les personnages de l'histoire sont en général (pas tous) très tartes, mais l'enchaînement de réactions catastrophiques est assez saisissant. En plus court, je recommande la dernière chronique d'Alain Frachon dans Le Monde. Et puis je vais aller acheter le dernier Houellebecq, il s'intitule "Anéantir". C'est tentant. Ambiance. Meilleurs voeux !
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