Un Luxembourgeois et un Libanais-Arménien pour nous faire réfléchir mais pas que

 


C'est l'époque des prix littéraires : c'est le bon moment de partager quelques notes de lectures.

Je voudrai vous faire connaître deux ouvrages dont j'ai trouvé la lecture à la fois émouvante et enrichissante.

Dans des registres fort éloignés, les deux auteurs, que je connais un peu et parfois pas trop mal, sont tellement différents qu'ils vont être bien étonnés de se retrouver ensemble dans la barque légère de cette chronique que je ne vais pas craindre de baptiser de littéraire.

Et pourtant aucun des deux ne prétend à quoi que ce soit en termes d'écriture littéraire. Mais, c'est ça qui est bien, ils nous fournissent de vrais plaisirs de lecture alors que le lecteur n'est pas sensé s'y attendre !

Le Luxembourg : un petit pays qui pourrait nous apprendre à sortir de nos clichés 

A ma gauche, Philippe Depoorter et son "voyage au coeur des familles en entreprise" intitulé "Ce que j'ai appris de vous", édité par la Banque du Luxembourg. Les récits qui composent l'ouvrage sont tous extrêmement chargés d'émotions. Celles de l'auteur déjà, lorsqu'il rencontre ces familles dans le cadre du "Family Practice" qu'il a fondé au sein de la Banque du Luxembourg. Celles des familles et de l'entreprise qui les rassemble ensuite car, mais si mais si, les entrepreneurs sont des êtres humains comme les autres. 

Ce qui est bien, pour un lecteur français, c'est de lire des histoires qui nous sortent des reportages plus ou moins faciles réalisés par les journalistes économiques sur les "moguls" du capitalisme français (Arnaud, Bolloré, Bouygues, Lagardère, etc.…). 

Bref, à l'opposé du bouquin publié en France il y a quelques années par Raphaëlle Bacqué et Vanessa Schneider, sous le titre "Successions" qui fleurait bon la série TV et contribuait à sa façon à l'imagerie franchouillarde des "riches", l'approche de Philippe Depoorter est empreinte d'humanisme et de finesse psychologique. 

Il ne se contente pas d'observer, il plonge, il réfléchit, il essaie de trouver la meilleure stratégie de soutien. Philippe Depoorter se définit comme un facilitateur et il nous donne une leçon de coaching. Chaque chapitre, ou histoire rencontrée, est ponctué enfin de repères méthodologiques qui contribuent à tirer les enseignements utiles de l'histoire vécue, à usage des lecteurs qui se sentiront concernés dans leur propre histoire.

Le livre n'intéressera pas seulement ceux ou celles qui accompagnent ou fréquentent ces entrepreneurs et leurs familles. L'économie n'est pas constituée que d'agrégats ou ne se limite pas aux classements Forbes. Il parlera à tous ceux qui ont envie de sortir des clichés. Si le Luxembourg peut nous apprendre quelque chose, il serait dommage de nous en priver !

Quand les lapins, les ratons laveurs et Saint Jérôme peuvent nous faire réfléchir au futur

A ma droite, rafi* Haladjian, jadis qualifié de "mauvais garçon de l'Internet français" par une journaliste des Echos. rafi est un multi-entrepreneur qui sévit dans les technologies. Mais c'est un littéraire, un sémiologue. Son histoire familiale et personnelle, entre Arménie et Liban, nourrit aussi toute sa démarche et cela donne un parfum tout particulier à ses récits. 

Il a de surcroît une culture invraisemblable et un sens de l'humour ravageur qui rendent la lecture de sa "Tentative d'épuisement de l'avenir du futur" absolument réjouissante de bout en bout. Ah ces notes de bas de page (932 !) dont un très grand nombre m'a plongé dans un état de félicité hilare dont je lui suis extrêmement reconnaissant.

Avec rafi les technologies ne sont jamais ennuyeuses ni réservées aux geeks. D'ailleurs elles n'ont aucun sens par elles-mêmes. Ce qui intéresse rafi, ce qu'il observe, c'est la façon dont celles-ci nous permettent de créer et d'accéder au savoir et à la connaissance. 

"Comme la plupart des gens"** dont je fais partie, rafi est né en 1961, ce qui commence à lui donner un poil de recul sur ce qui se passe ou peut se passer dans les tréfonds de nos envies et comportements lesquels vont immanquablement donner naissance à la technologie dont nous finirons par avoir du mal à nous défaire.

Pour nous entraîner dans son monde qui est aussi le nôtre en fait mais que nous ne saisissons pas toujours à cause du vacarme ambiant, rafi nous fait remonter à Saint Jérôme, galèje sur Steve Jobs comme sur de réels et souvent improbables chanteurs belges et nous fait parcourir l'histoire des technologies sur les 40 dernières années à laquelle, toutes choses vaguement égales par ailleurs, il a participé avec de sacrées intuitions, des emballements quasi-romantiques autour de déjeuners au japonais du coin, des idées qui faisaient marrer les gens sérieux et une habitude bien ancrée de commencer à se lasser quand tout le monde finit par dire la même chose que lui. 

En fils du Moyen-Orient, rafi, au bout du compte, est un prophète sarcastique. Il doute, encore et toujours et c'est justement pour cette raison qu'il est resté créatif.

En dernière partie de son affaire, rafi nous livre sa vision du "postweb" et même de l'après postweb. Il n'est même pas impossible qu'il ait raison.

Bref, vous voilà équipés de recommandations de lectures qui valent bien voire davantage que ce que vont nous jeter en pâture les jurys littéraires de l'automne.

Je ne résiste pas à l'envie d'y ajouter le dernier Astérix, mise en boîte réjouissante des gourous en développement personnel dans un registre nettement plus recevable que les leçons de Julia, la de Funès qui se la pète grave.

Vive l'automne et ses bonnes feuilles !


*avec un petit "r" car c'est un prénom arménien

**blague rituelle de rafi


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