Retraites : le processus de négociation observable
Le processus législatif peut, a priori, être considéré comme un processus de négociation. Au milieu, un problème à régler et, tout autour, une grande diversité d'intervenants, chacun avec ses points de vue, ses motivations, ses préoccupations, ses alternatives à la négociation, etc...
Pour qu'une négociation réussisse, il est au départ nécessaire que le sujet soit bien posé : quel est le problème à résoudre qui concerne tous les intervenants même si c'est à des degrés divers.
Prenons donc le sujet des retraites en France. Quelle est la question qui se pose ? Quel diagnostic peut-il être fait sur ce sujet ? Si les médecins ne savent pas s'accorder sur le diagnostic, le malade ne s'en sortira pas !
Critères objectifs : le fiasco du COR
Le caractère a priori irréconciliable des opinions sur le sujet nécessite qu'un observateur "tiers de confiance" livre un diagnostic partagé au moins sur le problème. A écouter le tintamarre sur le sujet, je ne suis même pas sûr que ce partage existe. L'instance créée pour délivrer ces critères d'analyse, le Conseil d'Orientation des Retraites (COR), livre des analyses qui peuvent être interprétées de toutes les façons, bref, au lieu d'être l'apporteur de critères objectifs, le COR laisse chacun voir midi à sa porte. C'est mal parti pour arriver si je puis dire ! Le COR nourrit les batailles d'expert, nous ne sommes donc pas sur les bons critères.
D'où, grande question : quel problème veut-on résoudre ? La justice ? L'égalité des genres ? La pérennité du système par répartition ? L'équilibre financier en 2030, en 2050 ?
Tensions, incompréhensions, batailles d'arguments : vive la guerre de position
Toutes les parties pouvant donc fourbir leurs arguments dans leur coin, c'était donc la porte ouverte aux festivités que nous connaissons bien. A la tension de départ se rajoute l'incompréhension des uns par les autres. Les médias n'aident pas, nous devrions avoir l'habitude, mais nous oublions toujours que les médias sont des produits qui doivent se vendre et que pour attirer le chaland, autant être simple et faire du bruit, il suffit de se promener sur un marché un dimanche matin pour s'en rendre compte.
Au deuxième étage de la tension règne l'incompréhension, personne n'écoute, chacun suppute et interprète, tourne en boucle, les amalgames sont légion et, pour ce qui concerne les médias, vieille manie fatale de la presse française, la différence entre le fait et le commentaire n'est pas visible.
Nous sommes donc arrivés très rapidement au troisième étage de la tension, celui de la guerre de positions, laquelle s'observe par l'intensité des batailles d'arguments qui y règnent. Je ne compte plus la multitude de tribunes, de chroniques, d'éditoriaux et de reportages tous en charge d'illustrer les arguments "contre". Souvent très sorbonnard, riche en statistiques voire philosophique. Ce n'est pas "grande gueule", mais c'est "grandes signatures". Au bout d'un moment, ça force le respect.
Quand les arguments ne suffisent plus, c'est le recours à "l'ultime stratagème" de ce vieux misanthrope de Schopenhauer : "Lorsque l’on se rend compte que l’adversaire nous est supérieur et nous ôte toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdue), au débateur lui-même en attaquant sa personne."
Sortir de la guerre de position ?
Pour sortir de la guerre de positions, ou au moins en limiter l'impact et éviter de monter trop vite au 4ème étage de la tension, celui de la volonté de nuire avec agressivité ad hominem, violence, passages à l'acte possibles, il convient que chacune des parties fasse trois choses essentielles. Comme nous y sommes, je les rappelle !
- primo : nommer les blocages. Il y a 20 articles dans ce projet de loi. On connaît le numéro 7, c'est celui qui concentre les critiques. Il y en a donc 19 autres. Face à des acteurs qui jouent au tout ou rien, il n'y a pas d'espace. Elisabeth Borne, son ministre ou LR ne jouent pas cette stratégie, d'où les marchandages plus ou moins créatifs auxquels nous assistons. C'est donc entre ces parties que s'organise la négociation. Les autres comptent les points en faisant du bruit.
- secundo : acter le désaccord. C'est très sain d'avoir un accord sur le désaccord.
- tertio : se demander ce que l'on peut faire d'autre ! Quelle est la meilleure solution de rechange à un accord négocié pour le gouvernement, pour LR, pour tel ou tel député remuant ? Les syndicats, eux, jouent la négociation comme un bras de fer : avec des manifs, des sondages et des blocages. La grève est leur meilleure solution de rechange à un accord négocié.
Elisabeth Borne a fait comprendre qu'elle ne souhaitait pas déclencher la procédure de vote bloqué, l'utilisation de l'article 49-3. Elle a évité les provocations. Très bien. Mais c'est bien sa meilleure solution de rechange pourtant et je ne vois pas très bien pourquoi elle s'en priverait. Edouard Philippe allait le faire sur le projet précédent au moment où le Covid s'est pointé. Le Président a préféré changer de sujet, il ne doit pas s'étonner de se faire enquiquiner jusqu'au trognon aujourd'hui. Après, les opposants s'agglutineront-ils pour voter ensemble une motion de censure (c'est beau la convergence des luttes) ? Et s'ils le font, que se passe-t-il ensuite ?
Nous n'avons pas fini de nous amuser si je puis dire.
Quand je pense que les médias de 2060 décriront les années 2020 comme un paradis perdu. Ne riez pas, c'est ce que font les médias d'aujourd'hui sur les années 70 ou 80. Reprenez les archives.
PS : deux recommandations
La première est de lire "On aura tout essayé" de Chloé Morin, de la Fondation Jean Jaurès. Une analyse de notre caractère dit ingouvernable, avec des interviews de dirigeants qui ont su faire preuve de sincérité car, comme le dit Chloé Morin, c'est hélas la denrée qui nous manque le plus. Cela dit, quand elle interroge Valérie Pécresse, j'ai quand même beaucoup de mal à écouter.
La seconde est d'aller voir Camille Chamoux en scène, elle était dans ma bonne ville hier et c'était drôlissime et bien vu.
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