La vie en jaune



La couleur mal-aimée

Dans "Les Couleurs de nos Souvenirs", livre hautement recommandable que des amis ont eu l'excellente idée de m'offrir il y a quelques années, l'historien Michel Pastoureau fait référence à toute une série d'enquêtes d'opinion réalisées en Europe et aux Etats-Unis depuis les débuts du XXème siècle, notamment par les agences de marketing et de publicité. Ces enquêtes consistent, explique Michel Pastoureau, à interroger les passants dans la rue en leur demandant "quelle est votre couleur préférée ?". Question simple et directe et ne seront prises en compte que les réponses spontanées, car ce qui compte, c'est l'imaginaire de chacun, pas telle ou telle pratique de la couleur ni son aspect matériel.

Les résultats de ces enquêtes sont d'une extraordinaire constance. Selon Michel Pastoureau (cf p 206 de l'ouvrage), que l'on soit en 1890, en 1930, en 1970 ou en 2000, la couleur qui arrive en tête est le bleu (entre 40 et 50% des réponses), suivie du vert (entre 15 et 20%). Un peu plus loin vient le rouge (entre 12 et 15%). Le blanc et le noir sont distancés (environ 5 à 8% chacun). Le jaune reste le mal aimé de service avec moins de 2% des réponses. Quant aux couleurs "du second rang" (rose, orangé, violet, gris ou brun), elles ne se partagent que des miettes.

Plus intéressant encore, ces résultats sont similaires dans toute l'Europe, ils ne changent pas non plus selon le sexe, la catégorie socio-professionnelle ou encore l'âge. Bref, la messe est dite : d'abord le bleu, puis le vert, le rouge, le blanc et le noir et le jaune pour fermer la marche.

Le jaune est la couleur des parias : c'était la couleur de l'étoile imposée aux juifs par les nazis. C'était aussi, au Moyen-Âge, la couleur du vêtement imposé aux lépreux.

Bref, les "gilets jaunes" ont des antécédents. On pourrait me rétorquer qu'il s'agit là d'une coïncidence. Hélas je ne crois pas aux coïncidences !

Le jaune "rebelle"

Dans le modèle Process Communication que j'utilise régulièrement pour aider mes clients à réfléchir à leurs besoins, leurs canaux de communication, leurs comportements sous stress et leurs mécanismes et scénarios d'échec, Taibi Kahler a lui aussi recours à des couleurs. Le jaune en fait partie et il l'attribue au type de personnalité dit "Rebelle", des gens extrêmement sympathiques et fréquentables (comme tous les autres d'ailleurs) et dont les comportements spécifiques sous stress peuvent être décrits ainsi : d'abord ils "rament", ils n'y arrivent pas, c'est trop dur, puis ils "blâment", car s'ils n'y arrivent pas, c'est la faute de l'autre, des autres, de vous si c'est à vous qu'ils s'adressent. J'ai déjà écrit un post là-dessus (lire ici).

Nos camarades en gilet émargent assez largement à ce registre, ne trouvez-vous pas ? Bien sûr, selon les personnes présentes dans les manifs, il est tout à fait possible d'observer toute la palette des comportements mécommunicants : la croisade bien sûr pour les plus politisés de la bande, la manipulation pour les plus excités, le sur-contrôle des opérations pour les plus pointilleux, et bien sûr la capacité à faire des erreurs grossières pour les moins aguerris à la posture protestataire. Ceux qui ont participé aux barrages se reconnaîtront.

Tout ce petit monde exprime de la "colère", mot d'ordre émotionnel générique, qui attire immanquablement, et de façon très appropriée, l'expression du "respect" chez tous ceux qui sont visés par la colère en question. Relire mon post sur les émotions à ce sujet

Le problème est que les observateurs, même les plus bienveillants / respectueux, ne savent pas trop quoi faire de cette accumulation de râleries. Démissionner ? La difficulté avec ce genre de mot d'ordre est qu'il confond allègrement le problème et la personne. Faire de la pédagogie ? Cela revient à ressasser toute une série d'arguments que personne n'a envie d'écouter. Reconnaître la colère ? C'est fait, mais et alors ?

Négocier : quoi et avec qui ?

Les gilets jaunes voudraient-ils ouvrir une négociation ?

Sur quels sujets : le prix des carburants, la fiscalité, les retraites ?

Comment ouvrir ces négociations ? Qui les représente ? A force de vouloir éviter toute récupération politique ou syndicale, ce qui est peut être louable, cela devient compliqué, car la sainte alliance Dupont-Aignan, Le Pen, Mélenchon et Wauquiez fait un drôle d'attelage. Elle sent le hue et le dia, non ?

Et puis qui dit négociation dit coopération et non bras de fer, créativité et non blocage, écoute mutuelle et non batailles d'arguments, analyse des intérêts en jeu et non guerre de positions. La guerre de position, chacun dans sa tranchée, nous venons de commémorer ses beaux résultats. Les gilets jaunes sont partis à l'abordage la fleur au fusil. Les lendemains pourraient sentir la gadoue.

Lire Steve Pinker, encore

Je terminerai ce post vaguement morose par un conseil de lecture, celui du dernier ouvrage de Steven Pinker, ce chercheur renommé en sciences cognitives dont j'ai déjà parlé.
Il vient de publier "Le Triomphe des Lumières".
En fin de week end, c'est une petite lueur, au lieu d'être le nez collé sur des chaînes d'info continues ou des rézocios babillards qui ne nous aident pas beaucoup.

PS : Il ne faut plus dire "le ridicule tue", mais "le ridicule twitte" : représentation caricaturale du profil "compétitif-agressif"en négociation, le gros Donald a fini tout seul les commémorations de la fin de la guerre de 14-18. Puis, une fois rentré chez lui, il a twitté des baffes à Emmanouel. Il était insultant si on veut, ridicule en tout cas. Le pire, c'est qu'on s'habitue.







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