Quand il est question de "faire son deuil"

La courbe du deuil est une représentation des états émotionnels que tout un chacun va traverser lorsqu'il est confronté à l'inéluctable, à un événement qu'il n'a pas souhaité et qui modifie radicalement sa situation, la représentation qu'il se faisait de son avenir, de ses projets et même l'image qu'il s'était fait de lui-même, de sa vie, de ce qui avait de l'importance pour lui.
C'est la psychologue Elisabeth Kübler-Ross (photo) qui a observé et théorisé les différentes phases que nous pouvons rencontrer lorsque nous avons à "faire notre deuil"
Ce qui arrive aux personnes arrive aussi aux organisations comme à nos sociétés.
Dans l'affaire des suicides chez France Telecom / Orange il y a quelques années, je me souviens avoir vu passer un memo rédigé par un cabinet de consultants qui expliquait cette courbe à France Telecom / Orange. Ce qui avait valu à la direction de l'entreprise de se faire accuser de cynisme, d'avoir conçu et prémédité le suicide de certains de ses employés.
De la part des médias comme des organisations syndicales qui avaient dénoncé et ce cabinet et ce mémo, c'était là, à mes yeux, pousser l'instrumentalisation carrément loin, mais bon, quand la vague émotionnelle submerge, imaginer produire des analyses rationnelles conduit à passer pour des monstres froids,
Cette attitude de dénonciation est d'ailleurs un des moments que l'on rencontre lorsque l'on parcourt cette courbe.
La courbe suit en effet un trajet ponctué par 5 étapes.

Première étape : le déni
Le sujet refuse de reconnaître la réalité de l'événement. Pour lui ce n'est tout simplement pas possible. Tout manager ayant à effectuer un feed-back négatif à un collaborateur, à un dirigeant, que sais-je, peut rencontrer ce phénomène. Il va lui falloir à son tour accepter la réalité de ce déni et permettre à la personne d'entamer le travail de deuil qui en découle. Je ne veux pas psychologiser à l'excès les moments les plus courants de notre vie professionnelle, mais bon, le déni existe au même titre que la réalité qu'il refuse.
Deuxième étape : l'anxiété et la colère
Le sujet prend conscience de la réalité de la situation. Et cette situation le révolte, provoque en lui colère et inquiétude. Les deux émotions coexistent. Cette colère va prendre plusieurs formes. Certains l'extériorisent fortement. D'autres la retournent contre eux. Il m'arrive régulièrement de rencontrer des personnes qui viennent de perdre leur emploi. Ils sont souvent en colère et encore plus souvent très inquiets de ce qu'ils vont devenir.
Quand je lis le journal ces derniers temps, je ne peux pas m'empêcher de penser que très nombreux sont nos concitoyens et plusieurs de nos élus, à vivre à fond cette seconde phase lorsqu'ils confrontés aux changements majuscules qui nous assaillent. La "destruction créatrice" du camarade Schumpeter n'est pas câline. L'exploitation de cette colère, c'est le fond de commerce de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen par exemple. C'est aussi celui de Donald Trump. Franchement, ça ne me fait pas rigoler. Au moins Mélenchon est-il heureux de dire à des étudiants d'Audencia qu'il ne mange pas les enfants. Le fait qu'il ait de l'humour c'est déjà ça de gagné.
Troisième étape : le marchandage
Puisque la situation ne peut être changée, le sujet va chercher au moins à en atténuer les effets. Autrefois nos ancêtres les gaulois (et les autres) faisaient des offrandes aux dieux pour les amadouer. On peut se moquer de ces superstitions évidemment. Les agriculteurs, les médecins, les fonctionnaires, les chauffeurs de taxi, les salariés en CDI, les dirigeants menacés, les élus en difficulté, les britanniques en mal de Brexit, les grecs surendettés, sont-ils si différents ? Pas sûr.
Quatrième étape : l'abattement et la dépression
Là encore, quand je lis le journal, je me dis que les lendemains qui chantent vont attendre un peu. A cette étape, la tristesse remplace la colère. Dans mon activité, je travaille régulièrement à faire prendre conscience à tel ou tel que la colère qu'il exprime est une émotion de substitution à son émotion authentique, la tristesse. C'est ce qui m'avait tant plu dans le film d'animation de Pixar, Vice-Versa : reconnaître la tristesse, l'accepter et l'accueillir, c'est grandir.
Cinquième et dernière étape : l'acceptation, et son corollaire, la résolution du problème
Après l'hiver qu'a représenté l'étape 4, c'est le printemps. La personne renaît, elle se reconstruit, elle retrouve un chemin et il arrive qu'il soit très différent de ceux qu'elle a emprunté jusque là. Ce n'est pas obligé. Ce qui est important c'est que la prise de conscience est achevée, que la personne ou l'organisation a reconnu ce qui s'est passé et "tourne la page". Cela ne veut pas dire pour autant que l'événement rencontré était souhaitable, mais la personne réalise que d'autres possibles sont à sa portée.
Sur ce sujet, et pour ceux d'entre mes aimables lecteurs qui préfèrent les images, je ne peux que leur conseiller de regarder ce petit film d'animation canadien, "Pourquoi moi ?" qui raconte cela en dix minutes d'une manière aussi simple qu'éclairante et pas trop rébarbative.

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