Chère Pénélope



Une balle entre les deux yeux...

Il y a 5 ans le PS voyait exploser en plein vol DSK, grandissime favori de l'élection présidentielle et nombreux sont ceux qui s'étaient dit que le scandale avait "heureusement" éclaté avant la primaire, permettant au PS de trouver son plan B, lequel fut élu, d'ailleurs.
Cette année, l'explosion est à droite et là, catastrophe maxi, cela se produit après une élection primaire plutôt réussie. La balle que Fillon vient de se prendre en pleine tête, en fait, ce sont les 4 millions d'électeurs à la primaire de droite qui viennent de se la prendre en même temps.

Pour une entreprise comme pour un homme politique, la crise se traduit par : une saturation des canaux de communication, l'apparition d'interlocuteurs inhabituels, des enjeux très élevés, vitaux, pour celui ou celle qui est touché, une incertitude qui domine et le temps qui s'accélère et fait pression.

Tous les ingrédients sont présents dans le "Penelopegate" :
- Saturation : Fillon ne peut plus s'exprimer sur rien d'autre, les médias ne parlent que de ça (la crise c'est de l'audience !),
- Enjeux maximums : la candidature est plus que sérieusement remise en question et le rôle de la droite dans l'élection très fortement chahuté. La désagrégation menace.
- Interlocuteurs nouveaux : les seconds couteaux de l'Assemblée en profitent pour se faire connaître (en l'espèce les députés de droite qui plaident pour un plan B immédiat)
- Pression du temps et incertitude dominante : l'appel à la justice entraîne une gestion du temps chaotique où les médias veulent aller vite alors que la justice n'a pas franchement le droit de se dépêcher. Honnêtement, s'il est "blanchi", je ne donne pas cher de l'image de la justice. Fillon a tellement vendu l'image de son épouse discrète et effacée que, face au doute magistral qui vient de s'installer, chacun continuera à croire plus ou moins que la justice s'est faite acheter si elle déclare qu'en réalité Mme Fillon bossait comme une brave étudiante de ScPo qui apprend la politique dans les couloirs des assemblées. Les magistrats se sont fait traiter de lâches par François Hollande dans le fameux bouquin de Davet et Lhomme, ils ne vont pas donner prise à l'idée qu'ils puissent être complaisants.

Parmi les facteurs d'accélération il faut mentionner la sensibilité de l'opinion publique française aux questions d'argent, et il est utile de se rappeler que le la moitié des Français gagne moins de 2000€ par mois. Donc, si vous gagnez plus, évitez de trop la ramener. Aux US, le cul ne pardonne pas (n'est ce pas Dominique), en France, c'est le pognon. On est judéo-chrétien ou on ne l'est pas.

... Et une balle dans le pied

En plus, Fillon réagit de travers. L'étonnement rigidifie les réflexes, l'histoire du moment illustre à merveille ce postulat. Il est comme le lapin pris dans les phares d'une voiture.

- Temps 1 il dit qu'il aime sa femme, ce dont chacun se moque éperdument.
- Temps 2 il dit qu'il se retirera s'il est mis en examen, bref il joue la justice au lieu de se concentrer sur le seul problème qui vaille, celui de l'opinion publique et rien d'autre. La justice, il n'y a rien de pire, c'est le feuilleton assuré, pour se plomber, y'a pas mieux.
- Temps 3 il demande quinze jours à ses soutiens. Quinze jours, mais c'est à la fois énorme et dérisoire. Il me fait penser à ces entreprises qui essaient de limiter la casse en évaluant mal le seuil de crise. Plus profondément, Fillon, parce qu'il est "scotché" par l'événement, semble adopter davantage une réponse tactique qu'une réponse stratégique. Facile à dire de son fauteuil, me direz vous. Cela montre cependant qu'un candidat aussi préparé à la compétition pour le poste suprême n'a pas de réflexion stratégique sur sa communication face aux pétards que ses adversaires, à couvert ou à découvert, peuvent lui lancer.

Et je passe sur les erreurs de second ordre qui le décrédibilisent un peu plus : ses enfants n'étaient pas avocats mais juste étudiants en Droit et il a plus qu'un seul compte au Crédit Agricole de la Sarthe.

Les stratégies face à la crise : revue

Les stratégies connues face à la crise, on peut les résumer de la manière suivante :

a) développez en amont vos relations avec vos publics : or Fillon, comme beaucoup de politiques, se croit le grand distributeur du jeu. C'est faux. Nous avons tous besoin des autres. Or Fillon a fait trop longtemps la course en solitaire. Ses compétences relationnelles sont basses. Il professe le mépris des communicants et des journalistes, grossière erreur. Hollande en a trop fait. Fillon n'en fait pas assez. Du coup, en ce moment, il est démuni. Ses soutiens improvisent, disent n'importe quoi, aggravent le problème. La désagrégation pointe.

b) reconnaissez le problème : 
- reconnaissez tout : en général c'est la seule stratégie viable pour éteindre l'incendie, pour mieux revenir plus tard.
- ne reconnaissez pas tout, mais juste un bout. Mais lequel ?
- reconnaissez et lancez des amalgames : dites et montrez que vous n'êtes pas le seul. Dites j'ai pris le pognon et un max de députés font pareil, et débrouillez vous pour balancer des noms, si possible pas des amis
- enfin, et ce sera la stratégie des Républicains, reconnaissez le problème et dissociez, c'est à dire, par exemple, si vous êtes la Société Générale, dites "c'est Kerviel et c'est pas la banque". Ce sera la stratégie des Républicains, car ce sera la seule façon de sortir du problème. Fillon sera donc lâché, tôt ou tard et a priori aussi tôt que possible, car en campagne électorale, le temps compte double.

c) latéralisez :
- déplacez le débat sur un autre terrain. Dire par exemple, oui je l'ai payée, je trouve que le boulot d'une femme de député qui reste à la maison vaut bien ce salaire là. D'ailleurs toutes les femmes qui restent à la maison devraient toucher ce salaire là. Il existe d'ailleurs des études qui évaluent le salaire d'une femme au foyer à 8000 € par mois.
- criez au complot : c'est ce que Fillon a choisi
- Victimisez vous. Fillon le fait en partie mais Tapie faisait ça beaucoup mieux
- Dites que d'autres font pire : Cahuzac mon ami !
Les stratégies de latéralisation, aussi improbables peuvent elles vous apparaître, peuvent marcher, Trump l'a très bien montré. Mais Fillon ne sait pas faire du Trump, c'est déjà ça d'ailleurs !

d) les stratégies du refus :
- niez le problème : Fillon a commencé par là et ça ne marche pas
- Taisez vous : mais chez les politiques, c'est impossible
- Trouvez un bouc émissaire : la faute des médias ? certains le tentent, mais Le Canard Enchaîné, c'est du solide, tous les politiques le savent. Encore une fois, n'est pas Trump qui veut et c'est heureux.

Bref, Fillon est englué et ne s'en sortira pas à mon avis (qui ne vaut pas grand chose, certes, mais bon). Juppé, probablement, va devoir y retourner et ce n'est pas sûr que cela suffise ! Pour finir, si vous voulez mon avis à nouveau, les primaires à droite ou à gauche, c'est terminé ! A gauche, la première du genre a conduit à Ségolène Royal, pas franchement un succès, la seconde à Hollande et je préfère ne pas commenter, la troisième à Hamon, on verra bien. Et au moment où j'écris, ce sont Le Pen et Macron les mieux placés, et ils ne doivent rien à une quelconque primaire.

Je terminerai en citant Patrick Lagadec, auteur d'un ouvrage de référence sur la communication de crise : "Il faut avoir le courage de se poser des questions, surtout si on n'a pas les réponses et encore plus s'il s'agit de questions taboues, parce que les crises de demain sont souvent le refus des questions d'aujourd'hui". Qu'on se le dise !

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