Les bras de fer ne servent pas à marquer des points


Ce sera ma dernière chronique. 

Je me suis lancé dans un autre style de blog, "le blog du coach", avec d'autres styles d'articles, un autre genre d'écriture en quelque sorte. J'ai davantage envie de développer cela désormais. Les chroniques, inspirées par l'actualité, j'arrête. Certes, comme dirait l'autre, "ce n'est parce qu'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule", mais j'avoue que la contemplation de l'actualité et surtout en faire une analyse ou un commentaire, même sur des sujets que je maîtrise un peu, ont tendance à ne me faire que ronchonner en ce moment. Alors je risque, comme me dit un ami, de devenir un peu trop caustique, un poil clivant. Or si je me moque de cliver en live, je n'ai pas envie de cliver en ligne. Bref, je réserve mes ronchonneries à mes amis en vrai. Ils en ont de la chance !
Quant à ceux qui seraient nostalgiques, ils peuvent toujours acheter mon bouquin, ah ah ah.

Une petite dernière avant de tirer le rideau

Faites un jeu avec un groupe d'amis s'il vous plaît car c'est important qu'il y ait du public.
Dans le groupe, choisissez-en deux, réputés énergiques. Désolé pour le préjugé sexiste : les hommes sont plus intéressants que les femmes pour ce jeu là. Les femmes sont par contre les meilleures observatrices possibles.
Asseyez vos deux amis devant une table, face à face. Demandez-leur, en adoptant un ton soucieux, de faire place nette sur la table et de mettre hors de leur portée tout objet fragile ou potentiellement contondant.
Restez debout à côté d'eux et demandez-leur, on va faire un jeu : à votre avis, lequel ?
Attendez 5 secondes, il est fort possible que votre début de mise en scène fasse que l'un des deux voire quelqu'un dans le public, dise : "un bras de fer ! ?"
Confirmez, "en effet nous allons faire un bras de fer". Demandez : "vous êtes prêts, ça vous va ?" Ajoutez "mettez-vous en position s'il vous plaît".
Si l'un des deux remonte ses manches, c'est super.
Si l'un des deux s'inquiète, genre "j'ai un peu mal à l'épaule", rassurez-le, "ça ne va durer que dix secondes".
Car, expliquez-vous : "je mets en marche mon minuteur, dix secondes messieurs, en dix secondes, voici les instructions, vous devez marquer un maximum de points. Quand le bras de A touche la table, B marque un point. Quand le bras de B touche la table, A marque un point. C'est bon, messieurs, ces instructions sont claires, alors allons-y c'est parti, top !"
Vos deux camarades vont donc s'efforcer de résister pendant dix secondes. Elles passent vite. Evidemment, si vous ne vous êtes pas trompés, au bout des dix secondes, aucun des deux n'a réussi à faire toucher le bras de l'autre sur la table. Le résultat des courses est donc : zéro point partout.
Posez alors la question : comment pouviez-vous faire, mes amis, pour gagner un maximum de points en dix secondes ? La réponse est évidente : en accompagnant le mouvement au lieu de résister. Les deux participants viennent de réaliser qu'ils se sont fait avoir, que vous avez donné des instructions qu'aucun bras de fer ne permet de respecter. Car le bras de fer n'a jamais permis de "marquer un maximum de points". Bref votre jeu était un bel exemple d'injonction paradoxale.

Dans une négociation, il se passe la même chose que dans votre jeu. Les participants à une négociation veulent a priori tous "marquer un maximum de points". Ils ont donc besoin de travailler ensemble pour y parvenir. Malheureusement les représentations les plus répandues de la négociation l'assimilent toutes soit à un bras de fer, soit à une partie de poker menteur. La troisième représentation la plus répandue assimile la négociation à un compromis, une recherche obsédante d'un juste milieu qui n'existe pas, sauf à ce que les parties prenantes acceptent d'abandonner telle ou telle de leurs motivations.

Dans votre jeu, faites remarquer aux participants qu'ils se sont laissés "aveugler" par l'idée qu'ils se faisaient d'un bras de fer, par votre petite mise en scène, et que cela les a empêchés de prêter attention à vos instructions. Parfois, certains tiquent mais ils se font entraîner par le jeu, par l'autre, et par la pression du temps. Une fois, j'ai donné 20 secondes. C'était devenu trop long, les participants ont eu le temps de commencer à réfléchir et de voir le piège.

Un lien avec la réforme des retraites

Si vous faites un rapprochement entre ce petit jeu et la négociation sur la réforme des retraites, vous observerez les mêmes mécaniques à l'oeuvre. Les commentateurs ont beau jeu de dénoncer la confusion et la perte de temps et, selon leur vision des choses, de faire porter le chapeau de la situation à tel ou tel.

Ce que je crois de mon côté c'est que, pendant deux ans, la mission confiée à JP Delevoye n'a servi à rien. Le jeu politique et syndical en France veut que personne ne se décide à travailler, que chacun attend que l'autre s'avance. Résultat : quand le rapport Delevoye sort, nous entendons que "maintenant la négociation commence". Ah bon, à quoi ont donc servi les deux années et les soi-disant 24 réunions entre Delevoye et les syndicats ? A rien, en fait.
Puisque la négociation commence, la grève commence. En France, négociation = grève. Personne ne cherche à écouter qui que ce soit. Chacun s'époumone.
Comme le disait Edgar Pisani dans une interview remarquable que mes petits camarades du Centre Européen de la Négociation m'ont fait découvrir : "c'est parce que nous ne savons pas écouter que nous sommes le pays des manifestations". Regardez cette vidéo remarquable ici.

La grève est l'équivalent du bras de fer. Le gréviste teste la résistance du législateur ; le législateur teste la résistance du gréviste. Au final, 7 semaines plus tard, tout le monde est épuisé et aucun point n'a été marqué par personne. Quel talent !

En vrac

- La centrale de Fessenheim ferme un réacteur. Cela fait plaisir aux écolos et aux allemands, c'est vrai que cela va permettre de donner du travail aux centrales à charbon. Quelle belle idée. Réchauffement climatique ? "You dare it" ? ! Ok boomer... Au passage, nous avons un terrain technologique et économique d'excellence et on le plante. Vraiment, quelle lucidité !
- Après Benzema, Benjamin. Histoire lamentable, aucun pour racheter l'autre. Seul effet positif : trois femmes en mesure de devenir (ou rester) maire de Paris. Cette campagne électorale peut devenir intelligente, une chance finalement.

Dans mon petit jeu à la noix, les femmes voient toujours le piège avant les hommes.

Comme le disait Aragon chanté par Ferrat : la femme est l'avenir de l'homme.

Commentaires

  1. Merci pour tes fines analyses, l'actu alitée peut aller se recoucher, elle ne te méritait pas. ;)

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    1. Merci de ta fidélité de lectrice et de tes commentaires réguliers, ce n'est pas si courant !

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    2. Je suis d'une époque révolue, celle où les gens savaient que derrière les posts, les tweets, les blogs, il y a des êtres humains et que sans eux la technologie n'est qu'une coquille vide. Hasta luego compañero !

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