Hep Taxi !

Cette histoire de taxis déchaîne les commentaires, après avoir déchaîné le reste. Souvent, je n'aime pas plus les commentaires que le reste.


- Premier exemple : Le Monde Diplomatique. Comme toujours dans Le Monde Diplo, le signataire se veut "gars intelligent". Bref, on écrit pas dans ce journal sans de vraies lettres de créances. On sent que la tronche a pensé et qu'il est temps qu'on l'écoute.
- Deuxième exemple : Rue 89. Dans le genre faussement cool qui fait a leçon, c'est un must. Et il faut  aller voir le "profil" de l'auteur. Celui là ne se prend pas pour un imbécile, je suis content pour lui.

Pour ma part, je n'ai pas plus envie de qualifier les chauffeurs de taxis de "gros cons" que de les plaindre. Je ne vais pas jouer au saint. C'est juste que la victimisation généralisée me sort par les trous de nez : aujourd'hui les clients des taxis, hier les chauffeurs, avant-hier les enseignants, le mois dernier d'autres encore. C'est ma limite. 

J'éprouve à l'égard des chauffeurs de taxis le même sentiment qu'envers les artistes dont le modèle de revenus a été très sérieusement chahuté, comme ce fut le cas pour les journalistes, les cinéastes, les acteurs, les hôteliers, que sais-je la liste est infinie dans la mesure où toutes nos organisations, absolument toutes et tous nos métiers, absolument tous, sont ou seront impactés par la numérisation. Les vagues n'ont pas fini de déferler. 

Tout juste dois-je confesser ma satisfaction sadique quand j'ai su qu'Uber démarrait à Marseille et que cela rendait ivres de rage les taxis marseillais. L'accueil qu'ils réservent à la gare St Charles m'a toujours paru inouï. Comme si je me retrouvais dans une "caméra cachée" même pas drôle.

Remember Napster

Donc la marchandisation des données et le développement de l'économie dite du partage ferait la fortune de Google en particulier et des aventuriers de la Silicon Valley en général ? Oui, et de tous ceux qui prendront le taureau par les cornes sans attendre au lieu de rester sur leur chaises en se lamentant (même si je comprends qu'ils se lamentent). Il est vraisemblable que ceux qui sauront mettre l'énergie qui convient n'appartiendront pas aux institutions publiques ou privées du monde d'avant.

L'écolo-économiste Jeremy Rifkin dit sur cette mutation des choses fort intéressantes, qui me semblent bien plus instructives que les diatribes anti-Google ou le refrain usé jusqu'à la corde de la violence de "l'ultra-libéralisme"... Jeremy Rifkin n'y va pas par quatre chemins. Il prophétise carrément l'extinction su capitalisme. Un genre de prophétie qui inquiète autant les dirigeants que leurs salariés.
Le drame des taxis est en effet surtout d'avoir des organisations très installées et très sûres de leur influence comme G7 au milieu du paysage. Par le sentiment d'impunité qu'elles ont développé, elles ont laissé croire y compris aux artisans que l'ouverture à la concurrence appauvrirait le métier. 

C'est un dilemme bien connu des négociateurs. Plus je suis "dur" dans ma négociation, plus je peux garder ou gagner la plus grosse part du gâteau en jeu même si j'ai moins de chances de développer ma relation avec l'autre partie. Plus je suis "doux" dans ma négociation, plus je vais préserver ma relation avec l'autre partie, mais moins grosse pourrait être ma part... Lorsqu'il s'agissait de négocier avec les pouvoirs publics, cette façon de voir les choses a rapporté. Avec Uber, la partie a changé de règles. 

Uber surfe sur les possibilités offertes par la technologie certes mais aussi, et je me dis que c'est le plus important, sur l'évolution de nos modes de vie en ville. Après tout, nous sommes sourcilleux sur la qualité de l'air, nos rues sont trop encombrées, les vitesses limites créent de plus en plus d'occasions de se fâcher avec nos permis de conduire et les places de parking sont chères (mais pas assez si vous voulez mon avis). Bref, la voiture individuelle dans les grandes métropoles est un problème et tout, à commencer par les politiques publiques environnementales, nous incite à la laisser au garage et va continuer à nous y inciter.

Dans la mesure où les transports en commun relèvent davantage du mal nécessaire que du plaisir à s'offrir, toutes les possibilités de co-voiturage, d'auto-partage ou de transports individualisables alternatifs sont les bienvenus... même s'il faut pédaler. Uber s'inscrit dans cette recherche. Tous les témoignages concordent : les utilisateurs d'Uber ne sont pas des utilisateurs habituels de taxis et ce sont souvent des jeunes par exemple. Je renvoie à cet excellent article publié dans le Huffington Post. Demandez autour de vous. 

Les taxis mènent donc un combat qui va leur faire beaucoup de mal et ne servira à rien. Le bon combat devrait consister à faire tomber la barrière du "numerus clausus", bref à reconnaître que si la licence vaut 250K€ ou plus, ce n'est pas en raison du sadisme des pouvoirs publics car la licence est gratuite mais en raison de l'obstination des taxis à ne pas vouloir ouvrir le marché, et donc à imposer des "listes d'attente" qui génèrent des phénomènes de rachats de licences entre taxis comme on rachète un pas de porte dans un fond de commerce. 

La stratégie de la rente n'est plus efficace. Il est urgent d'en changer. De toutes façons Uber passera. Et si ce n'est pas lui ce sera son frère. Il y a 20 ans l'industrie musicale a obtenu la peau de Napster, le premier site de partage de musique. Le sort de l'industrie musicale fait-il envie aux taxis ? 

Le problème c'est d'accepter de changer comme de ne pas s'enferrer dans une mauvaise stratégie jusqu'à ce qu'elle vous pète à la figure. Car il y a de nombreuses stratégies qui s'offrent aux taxis, pour devenir les partenaires de la ville de demain, aux côtés des VTCs, des Uberpopistes, des utilisateurs des petites voitures électriques de Decaux, des amateurs de Vélib', etc...Bref, les battes de baseball, ça n'a pas de roues.


Histoire de prendre un peu de recul par rapport à tout ça tout en se donnant des pistes pour y réfléchir, je conseille à tous la lecture de l'excellent bouquin de Georges Packer : L'Amérique Défaite, Portraits intimes d'une Amérique en crise, aux éditions Piranha, lauréat du National Book Award en 2013 et dont la traduction française est sortie il y a quelques mois. Ce livre est fascinant, à tous points de vue. Jamais la chute de la la "vallée de l'acier", les illusions inouïes de l'immobilier de Floride, le cynisme des arcanes de Washington, n'auront été racontés comme cela. Georges Packer est un journaliste hors pair. Ses portraits de financiers face à la crise de 2008, d'entrepreneurs inusables, de militantes l'espoir chevillé au corps alors que leur environnement se délite, de renifleurs de très bonnes idées, des rappeurs cyniques ou des stars de la télé, sont absolument fascinants. 

Et si un taxi a envie de lire ce bouquin, après tout on ne sait jamais, surtout qu'il ne se gêne pas. 

Quand la colère rackette la tristesse

Si vous ne souhaitez pas lire ce bouquin, ou si vous pensez que vous n'avez pas le temps, c'est dommage mais vous pouvez toujours aller au cinéma voir Vice-Versa

Le lien ? Comprendre et accepter que la tristesse est une émotion nécessaire, qui fait grandir. L'émotion parasite du chagrin associé à la perte, c'est la colère attaquante. Vice Versa en fait une démonstration qui amuse et émeut les enfants et leurs parents. Les chauffeurs de taxis en rage en font une démonstration à leur manière..

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