Le télétravail : un parfum et des épines



Ce que nous vivons depuis la mi-mars est proprement extraordinaire : le coronavirus est en train d’attaquer le cœur du modèle managérial dominant. Je ne sais pas si c’est bien ou mal même si j’en pense plutôt du bien. Je ne sais pas combien de temps prendra la transition dans laquelle nous nous sommes embarqués, mais ce que je sais, ce que je vois, c’est que les chaloupes ont bien été mises à la mer et vogue la galère, en route pour demain.

 

Je ne suis pas prophète en nouveau monde, mais j’ai pu avoir ces dernières semaines quelques entretiens avec des responsables RH que je connaissais et même avec d’autres dont j’ai fait la connaissance à cette occasion, et ce qu’ils racontent est tout à fait stimulant.

 

Au départ : l’improvisation

 

Au cours de la période la plus rude, c’est à dire le confinement, au début, on ne s’en rend pas compte. A la guerre comme à la guerre, chacun charge tout ce qu’il peut sur sa charrette et se précipite chez lui, dans sa maison de campagne, de bord de mer, de montagne, l’exode mode 2020 quoi. Le télétravail démarre dans l’improvisation la plus totale. En fait, tous ceux qui peuvent travailler de chez eux y étaient souvent bien préparés. Donc, les choses s’installent et personne ne s’imagine vraiment combien de temps cela va prendre. Après tout c’est la première fois dans nos vies que la quasi-totalité des gouvernements du monde décident d’appuyer sur le bouton pause de leur économie pour enrayer une catastrophe sanitaire.

 

En cours de route : la communication au centre

 

Les choses sont parfois plus délicates que ce que je suis en train de décrire vite fait. Il va falloir rassurer. Ceux qui côtoient le virus notamment. Mais comme me le confie un dirigeant d’Ehpad, « dans un moment comme celui-là, la priorité numéro 1 est de préserver la confiance. La communication avec les équipes est exacerbée, je dis tout ce que je fais et je fais tout ce que je dis ». Dans tous les autres secteurs de l’économie, il faut aussi rassurer tous ceux qui se retrouvent au chômage partiel, les aider à faire les bons calculs. Car comme l’ajoute une de mes interlocutrices, « dès qu’il s’agit d’argent, l’angoisse monte ».

 

En fait, pour mes interlocuteurs, pas une seule journée ne se passe sans qu’ils doivent intervenir quelque part. L’intensité est maximale.


 La question de confiance

 

Trois mois grosso modo plus tard, place au déconfinement. La mer s’est retirée et sur le sable j’écris ton nom Télétravail. Et ce n’est pas évident. « Le problème en France, c’est que les employeurs ont du mal à faire confiance ». Par conséquent, dans un nombre assez étendu d’entreprises, le retour à la « normale » est très compliqué. D’abord parce que le chômage partiel continue. Des dizaines d’entreprises, et pas seulement les restaurants, les théâtres et les cinémas, s’étaient retrouvées sans aucun client du jour au lendemain. Et toutes n’ont pas le charme d’une terrasse de restaurant ! Refaire venir le client, cela peut donner la migraine. Heureusement certains grands groupes jouent la reprise le plus vite possible. Des formations reprennent par exemple, d’autant plus facilement que les organismes se sont organisés pour intervenir « en distanciel ».

 

Revenir au bureau, ce n’est pas toujours très tentant. Il faut s’appeler Valérie Pécresse pour croire que tout un chacun va avoir envie de se précipiter, tout vibrant d’émotion, dans les métros, trains de banlieue et autres RER aux heures de pointe et pour exiger que les pouvoirs publics imposent une énième attestation !

Bien sûr ceux qui n’ont pas l’espace de travail suffisant chez eux, ou qui ne supportent plus de dormir dans ce qui est devenu leur « bureau », sont prêts à retourner sur leur lieu de travail. Mais finalement et sans avoir fait de sondages, l’impression retirée est qu’ils ne sont pas majoritaires.

 

Car le télétravail a un parfum sympathique vaguement entêtant. De nombreux dirigeants constatent d’ailleurs que leurs équipes n’en ont pas spécialement profité pour tirer au flanc. En fait les gens sont très respectueux. En même temps ils découvrent qu’ils peuvent réaliser leurs missions sans nécessairement se réfugier dans des open spaces. En plus, avec les contraintes sanitaires qui perdurent, revenir n’est pas folichon : « si c’est pour faire le ménage trois fois par jour, je préfère rester chez moi ».

 

D’autant plus que, notamment en région et chez les cadres, les angoisses financières peuvent être relatives. « Je rencontre peu de personnes qui se plaignent de la perte de revenus ». D’ailleurs, m’explique ce chasseur de têtes, « les gens recherchent un job qui a du sens, beaucoup se sont rendu compte qu’ils dépensaient trop, et beaucoup sont d’accord pour baisser leur salaire et rejoindre une entreprise dont l’activité a du sens pour eux ».

 

La valeur du projet

 

Au final ce qui commence à frémir, c’est la prééminence de l’importance du projet par rapport à l’importance du statut. Le télétravail pose aux entreprises des défis de communication, car il peut compliquer les inter-actions au quotidien. Chacun est invité à prendre en charge sa communication avec les autres. C’est un défi pour l’intégration des nouvelles recrues, pour la mise en mouvement des équipes. Et si les visio-conférences sont parfois saoûlantes, beaucoup constatent que, désormais, nos réunions démarrent à l’heure et gagnent en efficacité. Le télétravail est un accélérateur d’autonomie. La nature et la valeur du projet deviennent les éléments fédérateurs. Car c’est autour de ce projet que va se construire l’échange. Sans projet à valeur ajoutée, le télétravail va mal fonctionner.

 

En fait tous les salariés dont l’activité peut s’exercer en télétravail découvrent ce que tous les indépendants, free-lances et autres micro-entrepreneurs ont expérimenté au cours des dernières années. Travailler en groupe en autonomie, c’est possible si le projet, si la valeur est bien partagée. C’est un défi pour les dirigeants et les entreprises en général. Offrir une « place » c’est très insuffisant. Les épines du télétravail sont bien pour les dirigeants s’ils ne sont pas en mesure de relever ces défis.

 

Car, au-delà de la crise sanitaire et des éventuelles ou prétendues « vagues », il s’est passé quelque chose d’essentiel. La solution n’est ni dans l’interdiction ni dans la généralisation imposée du télétravail. « Ce que je conseille », me dit une de mes interlocutrices, « c’est de voir ce qui est possible à distance, d’interviewer les salariés, d’avoir une cartographie des opinions, des ressentis, savoir qui en a envie et qui n’en raffole pas, et de comprendre pourquoi ». Bref, de comprendre les cas particuliers et de les respecter.

 

En fait, il va y avoir du travail. C’est une bonne nouvelle.

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