Le défi de la négociation


Quel que soit le résultat des élections législatives précipitées le 7 juillet au soir, nous serons mis au défi de la négociation.

Cela ne va pas aller de soi. A l'heure où l'expression "être dans son tunnel" désigne la manière dont les candidats "débattent" sur les plateaux TV, les vertus du dialogue ne semblent pas les mieux partagées.

Ensuite la négociation est un processus très méconnu, très mal compris et très grossièrement résumé par ceux qui prétendent en conduire, voire en être des experts. Donald Trump n'a-t-il pas écrit un opus "The Art of the Deal"... ? Bon évidemment vous imaginez bien qu'il ne l'a ni écrit et même encore moins lu car le bouquin, sans être génial, n'est quand même pas un vade-mecum de Cosa Nostra. 

Je dois reconnaître que j'étais parfaitement dans le troupeau il n'y a pas si longtemps encore. Confiant dans mon bon sens, mes intuitions, voire mes capacités à convaincre, ruser ou encore à capituler quand finalement je préfère faire autre chose 😉

Le bon sens, les intuitions, la qualité des arguments, un peu de ruse quand même, tout cela n'est pas inutile mais c'est très insuffisant. 

Si l'affaire de la "grande coalition" dite "très plurielle" est le résultat qui sort des urnes dimanche soir, j'en suis désolé pour les anti-macronistes pathologiques, mais ce sera une grande victoire pour le Président. Car cela fait deux ans, voire sept, que Macron plaide pour l'utilité d'un travail transpartisan pour traiter les maux dont "les gens" se plaignent. 

La dissolution était la décision ultime qu'il pouvait oser prendre pour donner un énorme coup de pied aux fesses des acteurs du système afin qu'ils sortent de leurs poses d'épiciers pour accepter de se retrousser les manches au lieu de continuer à pérorer derrière leurs comptoirs. 

Je crois pour ma part que nous en avions sacrément besoin contrairement à ce que disent des commentateurs qui auraient préféré partir en vacances, comme beaucoup de Français d'ailleurs. 

Au passage, nous devons nous rendre compte que nous sommes tout le temps en vacances et qu'à force c'est aussi pour cela que nous sommes pauvres :-) et c'est d'ailleurs pour cela que le RN cartonne car ceux qui votent le plus pour lui sont ceux qui travaillent encore.

Il reste que le risque est aussi, pour Macron, de se prendre lui-même le coup de pied aux fesses recherché. Nous verrons bien dimanche soir si la grenade dégoupillée lui a explosé dans les jambes au lieu de disperser, façon puzzle, tous les politiciens de tous les bords.

La manoeuvre était donc risquée et pas encore gagnée du tout même si cette grande coalition indispensable émergeait finalement du scrutin. Car il y a de la négociation dans l'air et beaucoup de monde autour de la table potentielle. Plus il y a du monde, plus la le défi sera grand.

Laissez tomber les programmes inutiles

Premier obstacle : les partis politiques sont des machines à pondre du programme. Ce qui revient à faire croire à chacun qu'il a trouvé la solution avant même d'entamer la négociation.

Or si vous arrivez à une négociation en pensant que vous avez trouvé la solution, vous êtes mal barrés. Tout au plus avez vous des options.

En revanche il convient de se mettre d'accord sur l'ordre du jour et de considérer que TOUS les participants qui viennent à la table sont capables d'avoir des idées intéressantes. Cela peut prendre un peu de temps mais, après tout, pour sortir de la "guerre civile" froide que révèle notre vie politique et sociale depuis des années (même avant Macron), il est bon de se rappeler qu'il faut savoir "aller lentement pour aller vite". L'impatient que je suis en général essaie de ne pas oublier de s'appliquer ce précepte à lui-même.

Nous savons déjà que ni le RN ni Mélenchon-la-mauvaise-haleine ne prendront le temps de venir discuter puisqu'ils sont, les uns comme les autres, persuadés de détenir la vérité et la pureté. 

Au moins c'est clair. C'est important pour tout le monde de savoir qui participe à une négociation.

Vouloir convaincre, c'est bien gentil, mais ce n'est pas le sujet

Le travers le plus courant chez ceux qui s'engagent dans une négociation est de se dire qu'ils vont chercher à convaincre les autres. D'où une foultitude d'arguments tous plus fourbis les uns que les autres. Le résultat est donc le tunnel. Chacun reste chez soi et les vaches sont bien gardées.

En négociation la seule attitude positive, qui fait avancer les choses, consiste à questionner, reformuler, vérifier la compréhension, décider ensemble, assumer son engagement.

Le compromis : bof

L'autre grande croyance qui nous limite est qu'il faudra faire des compromis grâce à des concessions mutuelles. Franchement, cela ne fait pas très envie. Quand tout le monde cherche le "gagnant-gagnant", chacun se résoudrait au "perdant-perdant" ? C'est quand même bizarre, non ?

Si vous avez envie de lire un bouquin sur la négociation, plutôt que l'inutile "Art of the Deal" du chat de gouttière déjà mentionné, concentrez-vous sur "Getting to Yes" de Roger Fisher et William Ury ou d'autres ouvrages des mêmes auteurs. Y'a pas mieux, sincèrement. 

Leur mantra n'est pas de chercher le compromis, mais "d'agrandir le gâteau". Bref, d'être créatif avec les autres. J'en vois qui vont avoir du mal, en général parce qu'ils ont peur des réactions de ceux qui les observent. Je vous laisse les repérer, je m'en voudrai de donner des noms. 

Les effets de surprise à proscrire

Une négociation n'est pas une série Netflix. Il vaudrait mieux éviter les "coups", c'est à dire les effets de surprise. 

Mélenchon avait violemment critiqué Alexis Tsipras il y a quelques années à l'issue de la négociation sur la dette grecque. Un des problèmes de Tsipras avait été les "coups" fomentés par son ministre des Finances pour déstabiliser ses contradicteurs, au premier rang figurait le ministre des Finances de Mme Merkel, Wolfgang Schäuble, alias "l'homme de fer". Ils n'ont mené à rien. 

Sur ce sujet, je vous renvoie à l'excellent film que Costa Gavras a tiré de cette histoire à partir du livre publié par Yanis Varoufakis, le ministre des Finances en question.

Ni bons ni méchants, tous engagés et créatifs

Les gros malins de la négociation aiment jouer au jeu du bon et du méchant. 

Il serait préférable que tous s'engagent pour trouver des idées créatives pour résoudre tel ou tel problème. 

Certaines idées en provenance des fameux "projets" pourraient se révéler intéressantes de ce point vue. Cependant la négociation, pour réussir, doit se centrer davantage sur problème posé que sur les solutions envisagées avant d'entrer dans l'échange.

Quelle meilleure solution de rechange à un accord négocié ?

Il est probable que personne n'en aura vraiment. Tout dépendra de l'arithmétique des résultats. Faites vos comptes !

Je rappelle qu'un négociateur dispose d'une meilleure solution de rechange à un accord négocié, d'un plan B en français courant, lorsqu'il peut prendre une décision, sans les autres, sans leur demander leur avis. Ce qui est alors de nature à leur faire peur comme à les faire réfléchir. 

C'est une notion qu'Emmanuel Macron a complètement intégré, en personnalité compétitive qu'il est, à l'évidence.

Son exemple est d'ailleurs une bonne illustration de l'impact que peut avoir cette BATNA (Best Alternative to a Negotiated Agreement) selon la façon dont elle est communiquée. Si elle est formulée comme une menace, l'escalade et la fuite en avant vont sortir leurs oreilles. Lorsqu'elle est formulée comme un avertissement, cela va rendre davantage service.

Vous avez un week-end pour comprendre comment transformer une menace en avertissement. Rappelons-nous cet autre précepte que j'aime et que je travaille à ne pas oublier : "la façon dont nous disons les choses a davantage d'importance que ce qui est dit" (Taibi Kahler)

Bon week-end !

PS : un post-scriptum de dimanche électoral s'impose. Le résultat final est encore plus impérieux qu'imaginé. La négociation est une obligation absolue. Comme le dit Raphaël Glücksmann qui, de mon point de vue a trouvé la meilleure formule de la soirée : "il va falloir que l'on se comporte comme des adultes". Vu le reste des échanges en plateau, ce n'est pas gagné. Evidemment le pire de tous fut une nouvelle fois Monsieur-dents-gâtées-mauvaise haleine, sa majesté Jean-Luc en personne, qui nous a servi son discours tout en tremblements. Pathétique.



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