Nicolas Hulot renifle : les Illusions Perdues

 


Ce qui se passe autour de Nicolas Hulot est tout à fait inouï. Le récit, la forme retenue, les protagonistes, le contexte de l'époque, tout cela renvoie à ce que nous avons vu il y a quelques mois avec le remarquable et terrifiant récit de Camille Kouchner dans La Familia Grande comme, il y a plusieurs années, avec la sombre histoire de DSK à New York.

Un système en question, au-delà de l'événement et des personnes

Dans les affaires de violences sexuelles dans l'Eglise, les auteurs du rapport récemment publié ont mis en avant le caractère systémique des événements qui se sont produits au sein des mouvements et des organisations catholiques. Sur l'affaire DSK, la dimension systémique avait été bien explorée par Ariane Chemin et Raphaëlle Bacquet dans "Les Strauss-Kahn". "La Familia Grande" témoigne aussi remarquablement du système dont Olivier Duhamel était l'un des piliers.

Dans l'affaire Hulot, je retrouve cette dimension systémique. Le système mis en cause est à nouveau celui des médias, des courtisans des pouvoirs, des faiseurs d'opinion. Que l'une des premières personnes à avoir accusé Hulot soit l'une des petites filles de François Mitterrand est un signe de cette confusion des milieux.

Quand (si ?) Nicolas Hulot, avec trente ans de moins, se comporte comme ces femmes disent qu'il s'est comporté, il est journaliste vedette, ami de Chirac, porte-drapeau de l'écologie. Les faits reportés racontent tous ce contexte. Les accusations proférées à son encontre sont de même nature que celles qui pèsent sur PPDA. 

De mon côté, je me pose alors deux questions : si Nicolas Hulot, PPDA, Olivier Duhamel ou DSK sont devenus ce qu'ils sont, est-ce parce qu'ils étaient poussés par une sorte de feu intérieur qui leur donnait cette assurance capable de les transporter jusqu'aux sommets ou est-ce la position qu'ils détenaient qui leur a fait perdre de vue la réalité ? Pour reprendre deux termes bien connus : entre la perversion et l'hubris, qui commence ?

L'approche compassionnelle des équipes d'Envoyé Spécial, vraiment ?

Autre réflexion que je me suis faite : je n'ai aucune sympathie pour Nicolas Hulot et ce qu'il représente mais j'en ai encore moins pour Elise Lucet et sa bande. Je finis par m'apercevoir que je ne crois ni à l'honnêteté de l'un ni, et même encore moins, à l'honnêteté ou à la capacité de compassion de l'autre. Je me dis que les femmes qui témoignent ont terriblement besoin d'être écoutées mais pas par des journalistes qui, de mon point de vue, les instrumentalisent aussi. 

Personne ne me fera croire qu'Elise Lucet et les équipes d'Envoyé Spécial font cette enquête par compassion. Et quand j'entends Sandrine Rousseau, l'ex-candidate dite "écoféministe" à la primaire EELV, venir pérorer en clamant ou laissant entendre que c'est pour ça que les écolos n'ont pas voulu de Nicolas Hulot comme candidat jadis, je me demande de qui elle se moque. Veut-elle dire qu'elle savait, qu'elle subodorait que Nicolas Hulot avait un comportement de prédateur et qu'elle n'a rien dit ????

Comme tout cela semble ne pas pouvoir se résoudre devant un tribunal, je me demande ce que tout ce monde va devenir. Nicolas Hulot a annoncé qu'il quittait la vie publique. Honnêtement, bon débarras, qu'il aille au diable. Qu'a-t-il apporté à cette vie publique ? Il fut un journaliste à succès, un homme d'affaires astucieux, un ministre flemmard, lâche et piteux (et pleurnichard). Il faisait aussi la morale. Le voilà qui se débat. C'est beau comme du Fillon. Quant à Elise Lucet, je lui fais confiance : elle trouvera bien d'autres sujets pour faire monter son taux d'adrénaline et son taux d'audience. Mais que deviennent les femmes concernées ? 

Comment pouvons-nous mettre un terme au clanisme des médias, au pouvoir des fausses valeurs, nous débarrasser des Torquemada des plateaux, des bavasseurs des chaînes d'info continues ?

Le problème des tribunaux médiatiques est qu'aucune réparation ne peut en être attendue. D'autant moins que le tribunal en question est très contestable. Qui sont les prédateurs dans les médias d'aujourd'hui ? Qui sont les petits marquis actuels qui se prennent un peu trop au sérieux sur nos plateaux et sont tentés d'abuser de leur pouvoir ? Le mouvement #metoo met-il vraiment fin à ces comportements ? 

Les Illusions Perdues

L'un des meilleurs films de l'automne est l'adaptation des Illusions Perdues de Balzac par Xavier Giannoli. Le portrait au vitriol que Balzac trace des médias de son époque et que le film surligne à plaisir se retrouve dans cette histoire autour de Nicolas Hulot, sorte de Lucien de Rubempré contemporain. 

D'ailleurs Lucien de Rubempré s'effondre sous les coups d'une manoeuvre de ses anciens confrères. Elise Lucet a bien eu des prédécesseurs. Qu'Elise Lucet s'appuie sur des témoignages honnêtes ne la rend pas moins manoeuvrière, elle.

Dans les Illusions Perdues ce sont aussi des femmes qui paient cash les rivalités d'ego entre petits marquis et courtisans des médias.

Pour se faire du bien : ré-apprendre les nuances

Au départ, je ne m'étais pas dit que j'allais consacrer ce post à cette triste affaire. Mais finalement dans l'état d'esprit des médias qu'elle me fait entrevoir, elle apparaît comme le miroir inversé du sujet que j'avais envie d'aborder initialement, après la lecture de deux ouvrages fort instructifs :

- celui de Didier Pourquery d'abord. Ce journaliste au long cours, aujourd'hui président de The Conversation France, vient de publier "Sauvons le débat, osons la nuance" aux éditions de La Cité. Je suis content de souligner qu'il est journaliste, au moins puis-je encore distinguer la face lumineuse de ce métier dans une actualité qui en souligne si souvent la part d'ombre. Dans ce nouvel ouvrage, Didier Pourquery raconte son expérience de "mauvais client" sur les plateaux TV et plaide pour la redécouverte de l'écoute et du questionnement de l'autre en lieu et place des commentaires tranchés et des clashs qui font vivre le système chaînes d'info continues / réseaux sociaux. Et comme il est d'inclinaison bordelaise, il cite Montaigne qui aimait "se frotter la cervelle" aux autres, donc discuter même parfois avec vigueur, mais en maintenant l'écoute et le plaisir de la découverte de ce que dit l'autre. Il y rappelle aussi que signer un édito lui donnait jadis un sentiment d'imposture même si, parce qu'elle entendait son nom à la radio, "cela faisait plaisir à ma mère" 😄

- celui, plus ancien, de Sheila Heen, Bruce Patton et Douglas Stone, titré en v.f "Comment mener une discussion difficile", au coeur d'une formation très intéressante proposée par le Centre Européen de la Négociation. Il nous rappelle quelques sages préceptes fondamentaux. Face à une discussion difficile, lorsque nous abordons les gros sujets qui fâchent : explorons le récit de l'autre (écoutons pour apprendre), racontons clairement notre histoire (partageons nos intentions et leur impact sur nous), assumons notre part de responsabilité afin d'être en mesure de résoudre ensemble le problème. 

Bref, mon sujet était : quelles pistes suivre pour nous aider à sortir de nos polémiques quotidiennes ? J'ai découvert qu'il existait, à Paris, près de la Porte de Clignancourt, une "maison de la conversation". Un concept bobo dans un quartier bobo ? C'est bien possible, mais l'initiative a un peu d'allure. Merci @Xavier Cazard de s'être lancé là-dedans. C'est dans cet espace que Didier Pourquery est venu présenter son livre. Ce genre d'endroit se qualifie de "tiers lieu", donc de la même famille que le "Quai des Possibles" que je fréquente à Saint Germain en Laye dans le cadre de mes activités de mentorat. 

La conversation, les possibles, voilà de jolis mots qui nous changent des reniflements suspects de Nicolas Hulot !

PS : puisque je parle d'hubris, un mot sur Zemmour. Il termine sa soi-disant pré-campagne en répondant à un doigt d'honneur par un autre doigt d'honneur. Honnêtement, ça sent le sapin, et pas le sapin de Noël.



Commentaires

  1. Excellent article, Philippe, qui comporte parfaitement le billet de Luc Ferry ce matin sur Radio Classique : la justice médiatique immédiate se substituant de plus en plus à la justice qui prend les temps nexessaire de l'analyse et de la réflexion.
    J'ai d'autres le même parallèle que le tien entre le monde actuel et celui des illusions perdues balzaciennes.

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    1. Merci beaucoup cher lecteur.lectrice (j'imagine que nous nous connaissons mais ton commentaire reste "anonyme" (unknown))

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    2. Oui Philippe nous nous connaissons , je ne comprends pas pourquoi je ressors en Anonyme, alors que je réponds avec mon profil.
      Jean-Claude Zynderman

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    3. Les mystères de Blogger !
      Merci en tout cas Jean-Claude !

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  2. Complète au lieu de comporte, sorry

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