Pour Alexandre et ses inévitables successeurs en infortune


Lorsque j'observe le succès d'audience que j'enregistre avec mon post "Benalla bla bla bla", moins radical cependant que celui que j'avais enregistré sur mon post lié à l'affaire Fillon, je me dis que mes braves et dévoués lecteurs réguliers ou occasionnels ont besoin de comprendre ce qu'est une "communication de crise".

Avis aux vertueux

Ce post a donc pour ambition très modeste de faire le point sur la façon dont les choses se passent. Il y a tellement de journalistes qui donnent des conseils dans ce domaine qu'il n'est pas invraisemblable que les gens du métier écrivent des articles sur le sujet.

Au passage, ce serait une lecture toujours utile au héros du moment, même si je l'imagine très bien conseillé et très à l'écoute des conseils qu'il reçoit, si j'en crois la pertinence de ses interventions tant au Monde que sur TF1.

Surtout c'est une lecture pour ses inévitables successeurs en infortune, car, que personne n'en doute, ce genre de bazar arrivera à n'importe quelle formation politique au pouvoir. Les vertueux d'aujourd'hui sont les mis en examen de demain.

Crise de la communication

La communication de crise est une expression bancale en fait. C'est davantage d'une "crise de la communication" qu'il conviendrait de parler. Je joue un peu sur les mots mais c'est aussi pour dire que communiquer est une activité humaine fondamentale et pas "la com'" dont les journalistes parlent avec mépris tout en cherchant cependant à toute force à s'y reconvertir au premier plan social venu dans leurs médias mal gérés.
Donc quand c'est le bazar comme en ce moment, cela challenge extrêmement fort la capacité des uns et des autres à communiquer, c'est à dire à exprimer des choses dont les autres attestent la bonne réception. Le principe d'une crise est d'exploser les cadres habituels de référence du système touché. Avec ses impacts psychologiques visibles : sidération, confusion, déni, etc... chez ceux qui appartiennent au système en question.

Dans l'affaire Benalla, le point faible n°1 du système, c'est le groupe parlementaire LReM. Or c'est à cet endroit là que la crise a éclaté et perduré. Rappelons que la crise peut être définie comme "la phase ultime d'une suite de dysfonctionnements". L'Elysée est attaqué mais ne craque pas trop. Mais bon, l'alerte est chaude. Le gouvernement n'est pas vraiment touché et d'ailleurs Edouard Philippe gère très bien la situation lors des questions au gouvernement. Ce n'est donc pas une véritable crise politique et encore moins une affaire d'Etat. La police va être de plus en plus impactée. La guerre des polices n'est pas qu'un simple titre de polar.

Pourquoi ?

Quatre raisons bien connues :

- L'opinion publique est sensible à la relation à l'argent et à l'utilisation de leurs pouvoirs par ceux qui en détiennent. Vous avez du pouvoir ? Méfiez vous-en.
- Le "breaking news"des chaînes d'info continues fait de l'audience et, pour tout député, la télé, c'est du gâteau.
- L'opinion publique est méfiante. Regardez les études du CEVIPOF (Centre d'Etudes de la Vie Politique Française). Ce n'est pas glorieux.
- Les réseaux sociaux adorent et amplifient le moindre aspect de la crise

Quelles stratégies ?

Il est possible d'en discerner globalement trois grandes. Aucune n'est exclusive ni miraculeuse et face à certains événements majeurs, la stratégie de communication la plus pertinente ne pourra que limiter les dégâts, pas stopper les événements.

Le choix d'une stratégie dépend des réponses que les organisations et les responsables concernés apportent aux questions suivantes :
- Quel est le seuil de crise atteint ?
- Est-ce que l'organisation mise en cause a les infos ?
- L'ampleur de la menace met-elle en danger l'organisation mise en cause ?
- Quel est le média source ? Quel est son angle ? Coup de bol, c'est Le Monde. Teigneux mais pro. Une réputation à maintenir. Ils ne feront pas n'importe quoi
- Quel est le déroulement prévisible ?
- Qui porte la responsabilité ?
- Que peuvent les autres acteurs (les opposants) ? A part déposer des motions de censure sans lendemain et partir en vacances, pas grand chose.
- Quelle est la force de l'accélération ? Maximale. Les attaquants n'ont pas le choix. Ils doivent foncer. Après ce seront les vacances, la sécheresse, la canicule, que sais-je.

- Reconnaître : Les stratégies de reconnaissance sont à privilégier lorsque l'organisation pense qu'elle pourra bénéficier de circonstances atténuantes voire accroître son capital d'image à terme.

C'est ce qu'a fait le pouvoir en place.

J'entends certains me dire "ils ont mis plus de deux mois". Non. La crise éclate le jour de la parution de l'article du Monde. Avant il y a un incident potentiellement grave pour la réputation du Président qui a entraîné une mise à l'écart, et l'intéressé se sent "humilié". C'est la grève SNCF puis la coupe du Monde qui font tarder la sortie de l'affaire. Parce qu'il ne faut pas nuire aux camarades syndiqués d'une part, parce que les Français sont occupés à fêter les succès de leur équipe d'autre part, l'attention de l'opinion publique était ailleurs. Et que le lendemain du 1er Mai, à supposer que Le Monde ait eu l'info, il aurait été peu audible de sortir ce sujet alors que les images des casseurs sont dans toutes les têtes.

Donc, mettre à pied, licencier, saisir la justice, saisir l'IGPN, mettre en place deux commissions d'enquête parlementaire, dire "je suis le seul responsable", ou "j'ai fait une grosse bêtise", c'est reconnaître.

La question est alors : "tout reconnaître" ? ou "ne pas tout reconnaître" ? En l'occurrence, c'est "ne pas tout reconnaître" (pas les coups, pas la lenteur, etc...) Ne pas tout reconnaître c'est aussi dire "je n'ai pas demandé ce brassard, on me l'a donné". Les défunts Guignols auraient dit "il le porte à l'insu de son plein gré". Attention, je ne dis pas qu'Alexandre Benalla ment, je dis qu'il applique une stratégie de reconnaissance partielle des péchés qui lui sont reprochés. La justice fera le tri.

Reconnaître cela passe aussi par amalgamer : "cela se fait couramment" (porter un casque, un brassard, voire une radio). C'est ce que Fillon avait très peu fait, à mon avis à tort vu le nombre de parlementaires employant des membres de leur famille pour des missions pas forcément évidentes. D'ailleurs c'est sur ce point que le législateur va travailler. Par conséquent, sort actuellement l'idée d'un"signe distinctif" et d'une "charte" pour les observateurs invités par la police sur ce genre de point chaud.
Enfin reconnaître c'est aussi dissocier : "c'est la dérive d'un homme, pas une affaire d'Etat".

- Latéraliser : Les stratégies de latéralisation sont à privilégier lorsque le dossier est fragile. Elles visent à déplacer le débat.

C'est la stratégie de Gérard Collomb et de la police, qui se renvoient la balle. C'est aussi celle d'Alexandre Benalla lorsqu'il se victimise : "je dis les choses, je n'ai pas fait l'ENA, je ne suis pas sous-préfet, je dérange", voire Macron lorsqu'il attaque la presse : "beaucoup de journalistes ont dit beaucoup de bêtises". Encore une fois, cela ne veut pas dire que c'est faux.

C'est une stratégie moins efficace. Fillon l'avait poussée à son paroxysme avec l'invocation d'un "cabinet noir". Alexandre Benalla n'en fait pas trop de son côté : "je ne suis pas dans la théorie du complot". Quant à Collomb, l'éditorialiste du Monde Françoise Fressoz, qui  n'est pas une extrémiste, trouve qu'il "a le profil type du fusible". On verra bien.

C'est aussi pourquoi je trouve peu efficace les attaques du type "c'est le Watergate, l'affaire Boulin, c'est comme pour Cahuzac". Car ces attaques rappellent juste que d'autres responsables ont fait pire.

- Refuser. Les stratégies de refus sont utilisées lorsque l'organisation concernée est "dos au mur".

L'exemple le plus fameux est celui du secrétaire à la santé lors du scandale du sang contaminé : "je n'étais pas informé" ou de Georgina Dufoix sur le même sujet "je suis responsable mais pas coupable". Encore une fois cela ne veut pas dire que la personne ou l'organisation ment. La justice fait le tri. D'ailleurs Georgina Dufoix sera relaxée. Certains spécialistes ès crises parlent de "stratégie du chaînon manquant".

Il y a aussi la stratégie de négation du problème. En se taisant puis en déclarant, bravache, "qu'ils viennent me chercher", ou en déclarant que "c'est une tempête dans un verre d'eau", Emmanuel Macron utilise aussi cette stratégie. Je suis d'accord avec lui, mais je sais que ces stratégies du refus sont dangereuses. Rappelons nous Giscard et ses diamants. Quand des adversaires font tout ce qu'ils peuvent pour vous discréditer et vous empêcher de travailler, c'est compliqué d'en rester à la négation du problème.

Les stratégies du refus consistent aussi à trouver un bouc émissaire. C'est la stratégie de Mitterrand lors de l'affaire du Rainbow Warrior. C'est Charles Hernu qui paiera la note.

A suivre !

Et lisez les ouvrages de Patrick Lagadec ou de Thierry Libaert




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